e sans
le nommer[219], il parait etre reste, a son egard, dans les termes d'une
prudence politique, imitee par son rival que distrayaient d'ailleurs
tant d'autres soins, et qui etait dans la religion un homme d'Etat
encore plus qu'un docteur. Cependant il faut raconter une anecdote deja
indiquee qui peut servir a bien faire juger de leurs relations.
[Note 219: _Ab. Op._, ep. I, p. 31, et ep, II, p. 42.]
Un jour, l'abbe de Clairvaux visita le Paraclet, et y fut recu avec de
grands honneurs. Ayant assiste a vepres, comme a la fin de l'office,
suivant une regle de l'ordre de Saint-Benoit, on recitait l'Oraison
dominicale, il remarqua avec surprise qu'on y faisait une variante,
non adoptee generalement par l'Eglise. Au lieu de dire: _Donnez-nous
aujourd'hui notre pain quotidien_, conformement au texte de saint Luc,
on disait: _Notre pain supersubstantiel_, selon le texte de saint
Mathieu. Bernard en fit l'observation a l'abbesse, et comme elle lui dit
que le maitre Pierre l'avait prescrit ainsi, il parut ne pas approuver
cette singularite[220]. Etant venu au couvent quelques jours apres,
Abelard fut instruit de ce qui s'etait passe, et il ecrivit a l'abbe
de Clairvaux une lettre ou il lui dit d'abord, un peu ironiquement
peut-etre, qu'on l'a ecoute au Paraclet, non comme un homme, mais comme
un ange, et que pour lui, il serait plus fache de lui deplaire qu'a
personne; puis, il explique que la version de saint Mathieu lui a paru
preferable a celle de saint Luc, parce que le premier avait appris le
_Pater_ de la bouche de Jesus-Christ, tandis que le second ne pouvait le
tenir que de saint Paul, qui lui-meme n'avait pas entendu le Sauveur.
Enfin, apres quelque discussion, il declare ne pas beaucoup tenir a ces
diversites de breviaire qui sont naturelles et sans danger, et cette
lettre commencee si respectueusement pour saint Bernard, il la termine
par quelques critiques d'un ton vif et moqueur contre la maniere
particuliere dont certains offices etaient dits a Clairvaux[221]. On ne
voit point que saint Bernard ait rien repondu. Il parait seulement que
par la suite, mais longtemps apres Abelard, Heloise et saint Bernard,
les religieuses du Paraclet comme les religieux de Citeaux, ont change
les singularites de leur liturgie.
[Note 220: Cette difference existe dans la Vulgate qui traduit
par _supersubstantialem panem_ dans saint Mathieu, et par _panem
quotidianum_ dans saint Luc, les mots [Grec: arton epiouson] commune a
l
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