il s'agit de Dieu et des conditions de la nature divine, ne
pouvant aller legitimement et surement au dela de la conception et de
l'affirmation de l'existence.
Guillaume de Saint-Thierry ne se trompait pas, s'il soupconnait d'un peu
de froideur les deux dignitaires de l'Eglise qu'il interpellait. Ils
s'etaient accoutumes a temoigner leur zele en de plus graves affaires
que des controverses d'ecole, et tous deux venaient de jouer le role le
plus actif dans les luttes provoquees par le schisme des deux papes.
Dans sa querelle contre Pierre de Leon ou Anaclet II, Innocent II avait
trouve en Geoffroi et en Bernard les plus utiles et les plus zeles
defenseurs. L'un portait encore le titre de legat du saint-siege dans
les Gaules, et il n'y avait guere plus d'un an que l'autre etait revenu
de Rome, ou apres la mort d'Anaclet il avait conduit son successeur
repentant aux pieds du souverain pontife, et retabli l'unite de
l'Eglise.
On ignore comment l'eveque de Chartres repondit a Guillaume de
Saint-Thierry; quant a saint Bernard, il accueillit la denonciation avec
une politesse fort laconique. C'etait au mois de mars, pendant le careme
de 1139, ou, suivant quelques-uns, de 1140[233].
[Note 233: On peut admettre en effet que ceci ne se passa qu'en
1140, annee de la reunion du concile. Dans ce cas, la conference de
saint Bernard et de Guillaume, puis celle de saint Bernard et d'Abelard,
leur demi-rapprochement, leurs plaintes mutuelles, leur rupture, l'appel
au concile, la retraite de saint Bernard, puis sa rentree dans la
querelle, la session du synode et son jugement, tout se serait passe
dans le court espace de cinquante a soixante jours, de la fin du careme
a l'octave de la Pentecote, et l'accusation dirigee contre Abelard
d'avoir a un certain moment pretendu emporter l'affaire en la brusquant,
n'en serait que mieux justifiee. (Voyez plus bas p. 201.)]
Dans une lettre des plus courtes, il approuve l'emotion du religieux,
loue son traite, bien qu'il n'ait pu le lire encore avec assez
d'attention, le croit propre a detruire des dogmes odieux, et, pour le
reste, il se rejette sur les devoirs du saint temps ou il ecrit pour
ajourner toute explication. L'oraison reclame a cette heure tous ses
instants, et ce n'est qu'apres Paques qu'il pourra se rencontrer avec
Guillaume et conferer avec lui. En attendant, il le prie de _prendre
sa patience en patience_, il a jusqu'ici a peu pres ignore toutes ces
choses, et il termine en
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