sait jusqu'a la devotion minutieuse.
Comme sa severite envers lui-meme, son zele pour la maison du Seigneur
ne connaissait pas de bornes; et tandis qu'il domptait son corps et
humiliait sa vie par les rigueurs les plus miserables, il se livrait
avec une confiance absolue au sentiment d'une mission personnelle de
sainte autorite. Sa charite vive et tendre dans le cercle de l'Eglise ou
de son parti dans l'Eglise, s'unissait a une severite soupconneuse hors
du monde soumis a son influence, confondue a ses yeux avec le divin
pouvoir de l'Eglise meme. C'etait un orateur eloquent, un brillant
ecrivain, un missionnaire courageux, un actif et puissant mediateur
dans les affaires ou il s'interposait au nom du ciel; mais il manquait
souvent de mesure et de prudence. Sa raison etait moins forte que son
caractere, sa foi en lui-meme exaltee par l'exces de ses sacrifices. La
justesse, la moderation, l'impartialite lui etaient difficiles; il y
avait de l'aveuglement dans son genie; et a cote des rares qualites qui
l'ont place si haut dans l'Eglise et dans l'histoire, on reconnait a
mille traits de sa vie que ce grand homme etait un moine[236].
[Note 236: Voyez Othon de Frisingen, _De Gest. Frid._, l. I, c.
XVII.--Cf. Brucker, _Hist. crit. philos._, t. III, pars II, l. II, c.
III, p. 751 et 759.]
Lorsque le jour de Paques fut passe, il donna plus d'attention aux
avertissements de Guillaume de Saint-Thierry, qui sans doute ne manqua
pas de lui rappeler la conference promise. La gravite reelle ou
apparente de quelques-unes des nouveautes d'Abelard, l'independance
generale de sa doctrine, sa preference pour la methode rationnelle dans
l'exposition des verites religieuses, et, plus que tout cela, l'immense
et rapide propagation de ses idees, qui trouvaient tous les esprits
prets et ardents a les accepter, determinerent saint Bernard a
intervenir.
Quoique douze ans auparavant Abelard l'eut range au nombre de ses
ennemis[237], leur dissidence, qui etait dans la nature des choses,
n'avait pas eu beaucoup d'eclat; rien d'irreparable ne les armait encore
l'un contre l'autre. L'abbe avait visite le Paraclet; quelques relations
les avaient rapproches; leur passager dissentiment sur le texte de
l'Oraison dominicale pouvait bien avoir manifeste ou laisse entre eux un
fond d'aigreur cachee, mais enfin ils vivaient en paix. Bernard hesitait
evidemment a rompre, peu curieux d'engager un si rude combat. Il
voulut d'abord avoir une entrevue avec
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