surtout par ce mouvement general qui ne venait pas
tout entier de son impulsion, il maintint avec fermete la verite de ses
principes, provoqua la refutation, accusa ses adversaires de calomnie,
et parut braver l'Eglise.
Alors eclata la sainte colere de Bernard, et il commenca une guerre
declaree. Il poursuivit son adversaire, disent ses apologistes,
_avec son invincible vigueur_[246]. Songeant d'abord a s'assurer
une necessaire protection, il ecrivit en cour de Rome. La confiance
d'Abelard de ce cote l'inquietait visiblement, et ce n'est pas sans
anxiete qu'il invoque d'un ton tour a tour plaintif et indigne la
sollicitude du pape et des cardinaux. Nous avons ses lettres, toutes
declamatoires et cependant eloquentes, toutes remplies de recherche et
de passion, d'art et de violence; la foi est sincere, la haine aveugle,
l'habilete profonde.
[Note 246: _Histoire de saint Bernard_, par M. l'abbe Ratisbonne, t.
II, c. XXIX, p. 31.--La plupart des historiens croient que saint
Bernard ne devint vraiment actif et n'ecrivit en cour de Rome qu'apres
qu'Abelard eut demande a etre juge au concile de Sens. Cela est
possible, mais l'ordre que nous avons adopte peut aussi se justifier par
les textes.]
Dans son premier appel aux cardinaux, ce n'est pas un homme seulement,
c'est l'esprit humain qu'il denonce. "L'esprit humain, il usurpe tout,
ne laissant plus rien a la foi. Il touche a ce qui est plus haut,
fouille ce qui est plus fort que lui; il se jette sur les choses
divines, il force plutot qu'il n'ouvre les lieux saints.... Lisez, s'il
vous plait, le livre de Pierre Abelard, qu'il appelle _Theologie_[247]."
Quant a la lettre que je regarde comme la premiere que saint Bernard
ait ecrite sur cette affaire au pape, elle est comme trempee des larmes
qu'il versa dans le sein pontifical; il jette l'epouse desolee aux bras
de l'ami de l'epoux, et lui rappelle que la Sunamite lui est confiee,
pendant que l'epoux absent tarde encore. La peste la plus dangereuse,
une inimitie domestique, a eclate dans le sein de l'Eglise; une nouvelle
foi se forge en France. Le maitre Pierre et Arnauld, ce fleau dont Rome
vient de delivrer l'Italie, se sont ligues et conspirent contre le
Seigneur et son Christ. Ces deux serpents _rapprochent leurs ecailles_.
Ils corrompent la foi des simples, ils troublent l'ordre des moeurs;
semblables a celui qui se transfigura en ange de lumiere, ils ont la
forme de la piete. L'Eglise vient a peine d'echapper a Pi
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