eux doctrines. Nous sommes donc bien eloigne de separer
Abelard et sa querelle avec saint Bernard de l'etat general du monde
spirituel a leur epoque. Ce conflit celebre est un drame qui devait se
reproduire plus d'une fois sous d'autres formes, avec d'autres noms, en
d'autres temps, parce que chacun des deux athletes representait l'un
des deux esprits qui ne sauraient perir dans les societes modernes. Le
combat de l'autorite et de l'examen n'a pas commence d'hier, et quoique
la victoire ait decidement change de cote, il n'est pas pret a finir.
"Ce qu'Abelard a enseigne de plus nouveau pour son temps," dit un
ingenieux ecrivain, "c'est la liberte, le droit de consulter et de
n'ecouter que la raison; et ce droit, il l'a etabli par ses exemples
encore plus que par ses lecons. Novateur presque involontaire, il a des
methodes plus hardies que ses doctrines, et des principes dont la portee
depasse de beaucoup les consequences ou il arrive. Aussi ne faut-il pas
chercher son influence dans les verites qu'il a etablies, mais dans
l'elan qu'il a donne. Il n'a attache son nom a aucune de ces idees
puissantes qui agissent a travers les siecles; mais il a mis dans les
esprits cette impulsion qui se perpetue de generation en generation.
C'est tout ce que demandait, tout ce que comportait son siecle[212]."
[Note 212: Mme Guizot, _Essai sur la vie et les ecrits d'Abel. et
d'Hel_., p. 343.]
On a donc eu raison d'eclaircir et de completer le recit qui nous reste
a faire par des considerations generales sur ce reveil de l'esprit
humain au XIIe siecle, sur cette seconde des trois renaissances qu'on
peut apercevoir dans le cours de l'histoire du moyen age[213]. Un des
historiens de saint Bernard, Neander, a caracterise d'une maniere bien
interessante le mouvement des esprits et des opinions aux approches du
concile de Sens[214]. Mais la biographie, sans s'interdire l'observation
des faits generaux, se nourrit surtout de faits precis et individuels.
Ces faits ont aussi leur influence, car c'est aussi une loi generale de
l'histoire de l'humanite que les causes particulieres produisent leurs
effets, et que le petit concourt au grand, comme le grand aboutit
tres-souvent au petit. Recueillons donc encore quelques details qui
acheveront de caracteriser Abelard et sa situation.
[Note 213: _Histoire litteraire de la France_, par M. Ampere, t.
III, l. III, c. II, p. 32.]
[Note 214: _Histoire de saint Bernard et de son siecle_, par A.
Neand
|