nnonce que le temps qui separa le jour ou Abelard quitta la
Bretagne de l'annee 1140 fut pour lui anime et rempli par une grande
activite intellectuelle et litteraire. Cependant cette periode est dans
sa vie une lacune assez obscure. On sait seulement qu'il reprit une
derniere fois son enseignement public, et telle etait sa vocation
eminente pour cet emploi difficile de l'intelligence que vers 1136,
c'est-a-dire a l'age de cinquante-sept ans, il retrouvait la vogue de
sa jeunesse. C'etait a Paris, sur la montagne Sainte-Genevieve, un
des premiers theatres de ses succes, qu'il avait rouvert ecole de
dialectique, et nous apprenons d'un de ses auditeurs.
[Note 209: Nous ne faisons ici que les nommer. Les deux derniers
livres de cet ouvrage sont destines a les faire connaitre.]
"J'etais tout jeune," dit Jean de Salisbury, "lorsque je vins dans les
Gaules pour y faire mes etudes. C'etait l'annee qui suivit celle ou le
roi des Anglais, Henri, Lion de Justice, quitta les choses humaines
(1135). Je me rendis aupres du peripateticien Palatin qui alors
presidait sur la montagne Sainte-Genevieve, docteur illustre, admirable
a tous. La, a ses pieds, je recus les premiers elements de l'art
dialectique, et suivant la mesure de mon faible entendement, je
recueillis avec toute l'avidite de mon ame tout ce qui sortait de sa
bouche. Puis, apres son depart qui me parut trop prompt, je m'attachai
au maitre Alberic, qui excellait parmi les autres comme le dialecticien
le plus repute, et qui etait effectivement l'adversaire le plus
energique de la secte des nominaux[210]."
[Note 210: Johan. Saresb. _Metalog._, l. II, c. X, et _Rec. des
Hist_., t. XIV, p. 304--Jean le Petit, de Salisbury, ne, dit-on, on
1110, mais probablement plus tard, quitta l'Angleterre pour venir
etudier en France. Il y suivit les maitres les plus celebres, Abelard,
Alberic, Robert de Melun, Guillaume de Conches, Adam du Petit-Pont,
Gilbert dela Porree, etc., et il nous a laisse de precieux details sur
les ecoles de son temps. Il retourna en Angleterre en 1161, remplit
de nombreuses missions en Italie, fut appele en 1170 a l'eveche de
Chartres, et mourut le 25 octobre 1180. (_Hist. litt_., t. XIV, p. 89.)]
Ainsi peu de temps apres ce dernier enseignement, et pour une cause
inconnue, Abelard suspendit ses lecons; mais en reformant son ecole, il
avait ravive son influence et sa renommee. Aussitot devait se redresser
contre lui la vigilance hostile qu'il avait consta
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