rames, et nous vimes que nous etions dans un magasin d'epiceries:
rien n'avait ete derange dans la maison, seulement, dans une chambre a
manger, il y avait un peu de desordre. De la viande cuite etait
encore sur la table; plusieurs sacs remplis de grosse monnaie etaient
sur un coffre; peut-etre que l'on n'avait pas voulu, ou que l'on
n'avait pu les emporter.
Apres avoir visite toute la maison, nous nous disposames a faire nos
provisions, car nous y trouvames de la farine, du beurre, du sucre en
quantite et du cafe, ainsi qu'un grand tonneau rempli d'oeufs ranges
par couches, dans de la paille d'avoine. Pendant que nous etions a
faire notre choix, sans disputer sur le prix, car il nous semblait que
nous pouvions disposer de tout, puisqu'on l'avait abandonne et que,
d'un moment a l'autre, cela pouvait devenir la proie des flammes, le
caporal, qui etait entre d'un autre cote, m'envoya dire que la maison
ou il etait, etait celle d'un carrossier ou se trouvaient plus de
trente petites voitures elegantes, que les Russes appellent
_drouschki_. Il me fit dire aussi que, dans une chambre, il y avait
plusieurs soldats russes de couches sur des nattes de jonc, mais
qu'ayant ete surpris de voir des Francais, ils s'etaient mis a genoux,
les mains croisees sur la poitrine, et le front contre terre, pour
demander grace, mais que, voyant qu'ils etaient blesses, ils leur
avaient porte des secours en leur donnant de l'eau, vu l'impossibilite
ou ils etaient de s'en procurer eux-memes, tant leurs blessures
etaient graves, et que, par la meme raison, ils ne pouvaient nous
nuire.
Je fus de suite chez le carrossier, faire choix de deux jolies petites
voitures fort commodes, afin d'y mettre les vivres que nous trouvions,
et de pouvoir les transporter plus a notre aise. Je vis les blesses:
parmi eux se trouvaient cinq canonniers de la Garde, avec les jambes
brisees; ils etaient au nombre de dix-sept; beaucoup etaient
Asiatiques, faciles a reconnaitre a leur maniere de saluer.
Comme je sortais de la maison avec mes voitures, j'apercus trois
hommes, dont un arme d'une lance, le second d'un sabre et le troisieme
d'une torche allumee, mettant le feu a la maison de l'epicier, sans
que les hommes que j'avais laisses dedans s'en fussent apercus, tant
ils etaient occupes a emballer et a faire choix des bonnes choses qui
s'y trouvaient. En les voyant, nous jetames un grand cri pour
epouvanter ces trois coquins, mais, a notre surprise, pas un ne
b
|