Ils nous conterent qu'ils avaient ete obliges
de debarrasser la place ou la premiere voiture avait ete ecrasee avec
les Russes, et que ces derniers etaient tous brules, calcines et
raccourcis.
Le meme jour 18, nous fumes releves du service de la place, et nous
fumes prendre possession de nos logements, pas loin de la premiere
enceinte du Kremlin, dans une belle rue dont une grande partie avait
ete preservee du feu. L'on designa, pour notre compagnie, un grand
cafe, car dans une des salles il y avait deux billards, et, pour nous
autres sous-officiers, la maison d'un boyard tenant a la premiere. Nos
soldats demonterent les billards pour avoir plus de place;
quelques-uns, avec le drap, se firent des capotes.
Nous trouvames, dans les caves de l'habitation de la compagnie, une
grande quantite de vin, de rhum de la Jamaique, ainsi qu'une grande
cave remplie de tonnes d'excellente biere recouvertes de glace pour la
tenir fraiche pendant l'ete. Chez notre boyard, quinze grandes caisses
de vin de Champagne mousseux, et beaucoup de vin d'Espagne.
Nos soldats, le meme jour, decouvrirent un grand magasin de sucre dont
nous eumes soin de faire une grande provision qui nous servit a faire
du punch, pendant tout le temps que nous restames a Moscou, ce que
nous n'avons jamais manque un seul jour de faire en grande recreation.
Tous les soirs, dans un grand vase en argent que le boyard russe
avait oublie d'emporter, et qui contenait au moins six bouteilles,
nous en faisions pour le moins trois ou quatre fois. Ajoutez a cela
une belle collection de pipes dans lesquelles nous fumions d'excellent
tabac.
Le 19, nous passames la revue de l'Empereur, au Kremlin, et en face du
palais. Le meme jour, au soir, je fus encore commande pour faire
partie d'un detachement compose de fusiliers-chasseurs et grenadiers,
et d'un escadron de lanciers polonais, en tout deux cents hommes;
notre mission etait de preserver de l'incendie le Palais d'ete de
l'Imperatrice, situe a l'une des extremites de Moscou. Ce detachement
etait commande par un general que je pense etre le general Kellermann.
Nous partimes a huit heures du soir; il en etait neuf et demie lorsque
nous y arrivames. Nous vimes une habitation spacieuse, qui me parut
aussi grande que le chateau des Tuileries, mais batie en bois et
recouverte d'un stuc qui faisait le meme effet que le marbre.
Aussitot, l'on disposa des gardes a l'exterieur, et l'on etablit un
grand poste en face du palais
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