vous pas bien a
meme de le faire, vous qui le voyez tous les jours?
Vous me faites des reproches tres graves, mon cher enfant. Ils
constituent de votre fait un tort bien plus grave. Vous me reprochez
mes nombreuses liaisons, mes frivoles amities. Je n'entreprends jamais
de me justifier des accusations qui portent sur mon caractere. Je puis
expliquer des faits et des actions; des defauts d'esprit ou des
travers de coeur, jamais. J'ai une trop saine opinion du peu que nous
valons tous, pour faire de moi le moindre cas. D'ailleurs, en mon
particulier, je ne m'adore ni ne me revere. Le champ est donc libre a
ceux qui rabaissent mon merite. Je suis prete a rire avec eux, s'ils
font appel a ma philosophie. Mais, si c'est une question d'affection,
si c'est une souffrance de l'amitie que vous m'exprimez, vous avez
tort. Quand on decouvre de grandes taches dans l'ame de ceux qu'on
aime, il faut se consulter et savoir si l'on peut les aimer encore
malgre cela. Le plus sense est de cesser; le plus genereux est de
continuer. Pour que la generosite soit delicate et complete, il faut
ne pas leur dire leur fait, car cela est cruel. Tous les reproches qui
ont pour objet des faits de legere importance ou des defauts
corrigibles, les avertissements affectueux a donner, les avis tendres
et les plaintes delicates, tout cela, je le sais, est du domaine de
l'amitie. C'est meme son plus beau droit. Mais reprocher un passe deja
loin, contempler en silence des erreurs qu'on juge et qu'on ne
pardonne pas, puis les condamner le jour ou il n'est plus temps et ou
l'on ne sait meme plus ou les prendre, c'est injuste. Dire a la
personne aimee: "Votre coeur est froid, leger ou impuissant!" C'est
dur, c'est cruel.
C'est une humiliation gratuitement infligee, vous faites souffrir sans
rendre meilleur. Les coeurs secs ne s'amollissent pas, les coeurs uses
ne rajeunissent plus, les coeurs incomplets ne rencontrent ni
sympathie ni pitie. Si c'est la mon sort, il est bien brutal de me le
signaler.
Vous ajoutez que votre caractere a du me faire souffrir plus d'une
fois. Vous en ai-je jamais parle, moi? Vous ai-je blesse dans ce que
nous avons de plus irritable, l'estime de nous-memes? Non, je sais
trop qu'il faut jeter un voile de pardon et d'oubli sur les
imperfections de ceux qui nous sont chers.
Adieu, mon cher enfant. Donnez-moi des nouvelles de Maurice et des
votres le plus tot possible. Je vous embrasse de tout mon coeur.
XCVIII
A
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