ontentait, il se
disait qu'a son age on est vieux jeu, tandis qu'elle etait certainement
dans le train; il n'avait jamais ete qu'un pauvre diable de manoeuvre,
elle etait une artiste; dans ces conditions, comment n'eut-il pas
repousse les objections qui se presentaient a son esprit!
--Certainement, tu as raison, disait-il en maniere de conclusion,
l'impression donnee est bien celle que tu as voulu rendre.
Et il remontait a cheval pour surveiller l'expedition du beurre qu'on
avait battu en son absence, ou celle des cochons qu'on ne faisait pas
sortir de la porcherie ou qu'on n'emballait pas en voiture sans qu'il y
eut de terribles cris pousses malgre les precautions qu'on prenait pour
les toucher.
C'etait seulement apres le dejeuner qu'il se trouvait libre et pouvait,
si l'envie lui en prenait, s'en aller travailler aux foins avec Anie.
Comme il etait fier, lorsqu'il la voyait vaillante a l'ouvrage, sans
plus craindre le soleil qu'une ondee, affable avec les ouvriers, bonne
avec les femmes, familiere avec les enfants, se faisant aimer de tous!
Comme il etait heureux quand, a l'heure du gouter, ils s'asseyaient
tous deux a l'ombre d'un tilleul ou au pied d'une haie et mangeaient en
bavardant la collation qu'on leur apportait du chateau: un morceau de
pain avec un fruit ou bien une tartine de beurre mouillee d'un verre de
vin blanc du pays et d'eau fraiche.
C'etait le meilleur moment de sa journee, alors que, cependant, il en
avait tant de bons, celui de l'intimite, des tete-a-tete, ou tout peut
se dire dans l'epanchement d'une tendresse partagee.
On causait a batons rompus du present, du passe et aussi quelquefois de
l'avenir, mais beaucoup moins de l'avenir que du passe, en gens heureux
qui n'ont pas besoin d'echapper aux tristesses de ce qui est pour se
refugier, en imagination, dans ce qui sera peut-etre un jour.
On s'examinait aussi: le pere en se demandant si, comme le disait sa
femme, il n'imposait pas a Anie une fatigue dangereuse pour sa beaute,
sinon pour sa sante; la fille, en suivant sur le visage de son pere et
dans son attitude les changements qui s'etaient produits en lui depuis
leur installation a Ourteau, et qui se manifestaient par son air de
vigueur et de bien-etre, comme aussi par la serenite de son regard.
Et souvent son premier mot, lorsqu'elle s'asseyait pres de lui, etait
pour le complimenter:
--Tu sais que tu rajeunis?
--Comme toi tu embellis? Mais n'en doit-il pas etre ainsi
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