-- Vous voyez bien, Marie!
-- Et cependant, ma mere, avouez que le roi me delaisse?
-- Le roi, ma fille, appartient a tout son royaume.
-- Et voila pourquoi il ne m'appartient plus, a moi; voila
pourquoi je me verrai, comme se sont vues tant de reines,
delaissee, oubliee, tandis que l'amour, la gloire et les honneurs
seront pour les autres. Oh! ma mere, le roi est si beau! Combien
lui diront qu'elles l'aiment, combien devront l'aimer!
-- Il est rare que les femmes aiment un homme dans le roi. Mais
cela dut-il arriver, j'en doute, souhaitez plutot, Marie, que ces
femmes aiment reellement votre mari. D'abord, l'amour devoue de la
maitresse est un element de dissolution rapide pour l'amour de
l'amant; et puis, a force d'aimer, la maitresse perd tout empire
sur l'amant, dont elle ne desire ni la puissance ni la richesse,
mais l'amour. Souhaitez donc que le roi n'aime guere, et que sa
maitresse aime beaucoup!
-- Oh! ma mere, quelle puissance que celle d'un amour profond!
-- Et vous dites que vous etes abandonnee.
-- C'est vrai, c'est vrai, je deraisonne... Il est un supplice
pourtant, ma mere, auquel je ne saurais resister.
-- Lequel?
-- Celui d'un heureux choix, celui d'un menage qu'il se ferait a
cote du notre; celui d'une famille qu'il trouverait chez une autre
femme. Oh! si je voyais jamais des enfants au roi... j'en
mourrais!
-- Marie! Marie! repliqua la reine mere avec un sourire, et elle
prit la main de la jeune reine: rappelez-vous ce mot que je vais
vous dire, et qu'a jamais il vous serve de consolation: le roi ne
peut avoir de dauphin sans vous, et vous pouvez en avoir sans lui.
A ces paroles, qu'elle accompagna d'un expressif eclat de rire, la
reine mere quitta sa bru pour aller au-devant de Madame, dont un
page venait d'annoncer la venue dans le grand cabinet.
Madame avait pris a peine le temps de se deshabiller. Elle
arrivait avec une de ces physionomies agitees qui decelent un plan
dont l'execution occupe et dont le resultat inquiete.
-- Je venais voir, dit-elle, si Vos Majestes avaient quelque
fatigue de notre petit voyage?
-- Aucune, dit la reine mere.
-- Un peu, repliqua Marie-Therese.
-- Moi, mesdames, j'ai surtout souffert de la contrariete.
-- Quelle contrariete? demanda Anne d'Autriche.
-- Cette fatigue que devait prendre le roi a courir ainsi a
cheval.
-- Bon! cela fait du bien au roi.
-- Et je le lui ai conseille moi-meme, dit Marie-Therese en
palissant.
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