- C'est votre avis, colonel?
-- Sur mon honneur!
-- C'est aussi le mien; portez ma reponse au general royaliste.
Roland revint au galop vers Cadoudal, et lui transmit la reponse
du general Hatry.
Cadoudal sourit.
-- Je m'en doutais, dit-il.
-- Vous ne pouviez pas vous en douter, puisque ce conseil, c'est
moi qui le lui ai donne.
-- Vous etiez cependant d'un avis contraire; tout a l'heure?
-- Oui; mais vous-meme m'avez fait observer que je n'etais pas le
general Hatry... Voyons donc votre troisieme proposition? demanda
Roland avec impatience; car il commencait a s'apercevoir, ou
plutot il s'apercevait depuis le commencement, que le general
royaliste avait le beau role.
-- Ma troisieme proposition, dit Cadoudal, n'est point une
proposition; c'est un ordre: l'ordre que je donne a deux cents de
mes hommes de se retirer. Le general Hatry a cent hommes, j'en
garde cent; mes aieux les Bretons ont ete habitues a se battre
pied contre pied, poitrine contre poitrine, homme contre homme, et
plutot un contre trois que trois contre un; si le general Hatry
est vainqueur, il passera sur nos corps et rentrera tranquillement
a Vannes; s'il est vaincu, il ne dira point qu'il l'a ete par le
nombre... Allez, monsieur de Montrevel, et restez avec vos amis;
je leur donne l'avantage du nombre a leur tour: vous valez dix
hommes a vous seul.
Roland leva son chapeau.
-- Que faites-vous, monsieur? demanda Cadoudal.
-- J'ai l'habitude de saluer tout ce qui me parait grand,
monsieur, et je vous salue...
-- Allons, colonel, dit Cadoudal, un dernier verre de vin! chacun
de nous le boira a ce qu'il aime, a ce qu'il regrette de quitter
sur la terre, a ce qu'il espere revoir au ciel.
Puis, prenant la bouteille et le verre unique, il l'emplit a
moitie et le presenta a Roland.
-- Nous n'avons qu'un verre, monsieur de Montrevel, buvez le
premier.
-- Pourquoi le premier?
-- Parce que, d'abord, vous etes mon hote; ensuite, parce qu'il y
a un proverbe qui dit que quiconque boit apres un autre sait sa
pensee.
Puis, il ajouta en riant:
-- Je veux savoir votre pensee, monsieur de Montrevel.
Roland vida le verre, et rendit le verre vide a Cadoudal.
Cadoudal, comme il l'avait fait pour Roland, l'emplit a moitie, et
le vida a son tour.
-- Eh bien, maintenant, demanda Roland, savez-vous ma pensee,
general?
-- Non, repondit celui-ci, le proverbe est faux.
-- Eh bien, dit Roland avec sa franchise habituelle,
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