il offrit a Roland de partager son repas, en
s'engageant a le faire servir a la francaise.
Roland accepta; mais, comme tous les soldats qui avaient fait ces
rudes guerres de la Revolution ou le pain manquait souvent, Roland
etait peu gastronome, et il avait pris l'habitude de manger de
toutes les cuisines, dans la prevoyance des jours ou il n'aurait
pas de cuisine du tout.
L'attention de sir John de le faire servir a la francaise fut donc
une attention a peu pres perdue.
Mais ce qui ne fut point perdu, ce que remarqua Roland, ce fut la
preoccupation de sir John.
Il etait evident que son ami avait sur les levres un secret qui
hesitait a en sortir.
Roland pensa qu'il fallait l'y aider.
Aussi, le dejeuner arrive a sa derniere periode, Roland, avec
cette franchise qui allait chez lui presque jusqu'a la brutalite,
appuyant ses coudes sur la table et son menton entre ses deux
mains:
-- Eh bien! fit-il, mon cher lord, vous avez donc a dire a votre
ami Roland quelque chose que vous n'osez pas lui dire?
Sir John tressaillit, et, de pale qu'il etait, devint pourpre.
-- Peste! continua Roland, il faut que cela vous paraisse bien
difficile; mais, si vous avez beaucoup de choses a me demander,
sir John, j'en sais peu, moi, que j'aie le droit de vous refuser.
Parlez donc, je vous ecoute.
Et Roland ferma les yeux, comme pour concentrer toute son
attention sur ce qu'allait lui dire sir John.
Mais, en effet, c'etait, au point de vue de lord Tanlay, quelque
chose sans doute de bien difficile a dire, car, au bout d'une
dizaine de secondes, voyant que sir John restait muet, Roland
rouvrit les yeux.
Sir John etait redevenu pale; seulement, il etait redevenu plus
pale qu'il n'etait avant de devenir rouge.
Roland lui tendit la main.
-- Allons, dit-il, je vois que vous voulez vous plaindre a moi de
la facon dont vous avez ete traite au chateau des Noires-
Fontaines.
-- Justement, mon ami; attendu que de mon sejour dans ce chateau
datera le bonheur ou le malheur de ma vie.
Roland regarda fixement sir John.
-- Ah! pardieu! dit-il, serais-je assez heureux?...
Et il s'arreta, comprenant qu'au point de vue ordinaire de la
societe, il allait commettre une faute d'inconvenance.
-- Oh! dit sir John, achevez mon cher Roland.
-- Vous le voulez?
-- Je vous en supplie.
-- Et si je me trompe? si je dis une niaiserie?
-- Mon ami, mon ami, achevez.
-- Eh bien! je disais, milord, serais-je assez heureu
|