ir de cette tristesse,
il avait recours a l'electricite de l'art et revait ces monuments
gigantesques comme il en a entrepris beaucoup et acheve quelques-
uns. Il savait que les monuments font partie de la vie des
peuples; qu'ils sont son histoire ecrite en lettres majuscules;
que, longtemps apres que les generations ont disparu de la terre,
ces jalons des ages restent debout; que Rome vit dans ses ruines,
que la Grece parle dans ses monuments, que, par les siens,
l'Egypte apparait, spectre splendide et mysterieux, au seuil des
civilisations.
Mais ce qu'il aimait par-dessus tout, ce qu'il caressait
preferablement a tout, c'etait la renommee, c'etait le bruit; de
la ce besoin de guerre, cette soif de gloire.
Souvent il disait:
-- Une grande reputation, c'est un grand bruit; plus on en fait,
plus il s'entend au loin; les lois, les institutions, les
monuments, les nations, tout cela tombe; mais le bruit reste et
retentit dans d'autres generations. Babylone et Alexandrie sont
tombees; Semiramis et Alexandre sont restes debout, plus grands
peut-etre par l'echo de leur renommee, repete et accru d'age en
age, qu'ils ne l'etaient dans la realite meme.
Puis, rattachant ces grandes idees a lui-meme:
-- Mon pouvoir, disait-il, tient a ma gloire, et ma gloire aux
batailles que j'ai gagnees; la conquete m'a fait ce que je suis,
la conquete seule peut me maintenir. Un gouvernement nouveau-ne a
besoin d'etonner et d'eblouir: des qu'il ne flamboie plus, il
s'eteint; du moment ou il cesse de grandir, il tombe.
Longtemps il avait ete Corse, supportant avec impatience la
conquete de sa patrie; mais, le 13 vendemiaire passe, il s'etait
fait veritablement Francais, et en etait arrive a aimer la France
avec passion; son reve c'etait de la voir grande, heureuse,
puissante, a la tete des nations comme gloire et comme art; il est
vrai que, faisant la France grande, il grandissait avec elle, et
qu'indestructiblement il attachait son nom a sa grandeur. Pour
lui, vivant eternellement dans cette pensee, le moment actuel
disparaissait dans l'avenir; partout ou l'emportait l'ouragan de
la guerre, il avait, avant toute chose, avant tout autre pays, la
France presente a sa pensee. "Que penseront les Atheniens?" disait
Alexandre apres Issus et Arbelles. "J'espere que les Francais
seront contents de moi", disait Bonaparte apres Rivoli et les
Pyramides.
Avant la bataille, le moderne Alexandre s'occupait peu de ce qu'il
ferait en cas de su
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