un des caracteres distinctifs de leur physionomie.
Bonaparte regarda Roland pour savoir si l'eternel railleur riait
ou parlait serieusement.
Roland demeura imperturbable.
-- C'est ton opinion? dit Bonaparte.
-- Oui, general, et je crois que, physiologiquement, elle en vaut
bien une autre; j'ai une foule d'opinions comme celle-la que je
mets au jour au fur et a mesure que l'occasion s'en presente.
-- Revenons a ton Anglais.
-- Volontiers, general.
-- Je te demandais ce qu'il etait.
-- Mais c'est un excellent gentleman: tres brave, tres calme, tres
impassible, tres noble, tres riche, et, de plus -- ce qui n'est
probablement pas une recommandation pour vous -- neveu de lord
Grenville, premier ministre de Sa Majeste.
-- Tu dis?
-- Je dis premier ministre de Sa Majeste Britannique.
Bonaparte reprit sa promenade, et, revenant a Roland:
-- Puis-je le voir ton Anglais?
-- Vous savez bien, mon general, que vous pouvez tout.
-- Ou est-il?
-- A Paris.
-- Va le chercher et amene-le-moi.
Roland avait l'habitude d'obeir sans repliquer; il prit son
chapeau et s'avanca vers la porte.
-- Envoie-moi Bourrienne, dit le premier consul, au moment ou
Roland passait dans le cabinet de son secretaire.
Cinq minutes apres que Roland avait disparu, Bourrienne
paraissait.
-- Asseyez-vous la, Bourrienne, dit le premier consul.
Bourrienne s'assit, prepara son papier, trempa sa plume dans
l'encre et attendit.
-- Y etes-vous? demanda Bonaparte en s'asseyant sur le bureau meme
ou ecrivait Bourrienne, ce qui etait encore une de ses habitudes,
habitude qui desesperait le secretaire, Bonaparte ne cessant point
de se balancer pendant tout le temps qu'il dictait, et, par ce
balancement, agitant le bureau de la meme facon a peu pres que
s'il eut ete au milieu de l'Ocean sur une mer houleuse.
-- J'y suis, repondit Bourrienne, qui avait fini par se faire,
tant bien que mal, a toutes les excentricites du premier consul.
-- Alors, ecrivez.
Et il dicta:
"Bonaparte, premier consul de la Republique, a Sa Majeste le roi
de la Grande-Bretagne et d'Irlande.
"Appele par le voeu de la nation francaise a occuper la premiere
magistrature de la Republique, je crois convenable d'en faire
directement part a Votre Majeste.
"La guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties du
monde, doit-elle etre eternelle? N'est-il donc aucun moyen de
s'entendre?
"Comment les deux nations les plus eclairees de l'
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