mille Francais sur le Danube.
-- Pardon, citoyen premier consul, mais le Danube est un fleuve
autrichien.
-- J'aurai pris Vienne.
Sir John regarda Bonaparte.
-- J'aurai pris Vienne, continua celui-ci. J'embarque donc
quarante mille Francais sur le Danube; je trouve, a son
embouchure, des vaisseaux russes qui les transportent jusqu'a
Taganrog; je leur fais remonter par terre le cours du Don jusqu'a
Pratisbianskaia, d'ou ils se portent a Tzaritsin; la, ils
descendent le Volga a leur tour avec les memes batiments qui ont
conduit les quarante mille Russes a Asterabad; quinze jours apres,
j'ai quatre-vingt mille hommes dans la Perse occidentale.
D'Asterabad, les deux corps reunis se porteront sur l'Indus; la
Perse, ennemie de l'Angleterre, est notre alliee naturelle.
-- Oui; mais, une fois dans le Pendjab, l'alliance perse vous
manque, et une armee de quatre-vingt mille hommes ne traine point
facilement avec elle ses approvisionnements.
-- Vous oubliez une chose, dit Bonaparte, comme si l'expedition
etait faite, c'est que j'ai laisse des banquiers a Teheran et a
Caboul; or, rappelez-vous ce qui arriva, il y a neuf ans, dans la
guerre de lord Cornwallis contre Tippo-Saib: le general en chef
manquait de vivres; un simple capitaine... je ne me rappelle plus
son nom...
-- Le capitaine Malcom, fit lord Tanlay.
-- C'est cela, s'ecria Bonaparte, vous savez l'affaire! Le
capitaine Malcom eut recours a la caste des brinjaries, ces
bohemiens de l'Inde, qui couvrent de leurs campements la peninsule
hindoustanique, ou ils font exclusivement le commerce de grains;
eh bien, ces bohemiens sont a ceux qui les payent, fideles
jusqu'au dernier sou: ce sont eux qui me nourriront.
-- Il faudra passer l'Indus.
-- Bon! dit Bonaparte, j'ai soixante lieues de developpement entre
Dera-Ismael-Khan et Attok; je connais l'Indus comme je connais la
Seine; c'est un fleuve lent qui fait une lieue a l'heure, dont la
profondeur moyenne, la ou je dis, est de douze a quinze pieds et
qui a dix gues peut-etre sur ma ligne d'operation.
-- Ainsi votre ligne d'operation est deja tracee? demanda sir John
en souriant.
-- Oui, attendu qu'elle se deploie devant un massif non interrompu
de provinces fertiles et bien arrosees; attendu qu'en l'abordant
je tourne les deserts sablonneux qui separent la vallee inferieure
de l'Indus du Radjepoutanah; attendu, enfin, que c'est sur cette
base que se sont faites toutes les invasions de l'Inde qui
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