nous faire d'illusions,
le jour ou une police intelligente se mettra a notre poursuite et
nous fera veritablement la guerre, il est impossible que nous
resistions: nous ruserons comme le renard, nous nous retournerons
comme le sanglier, mais notre resistance sera une affaire de
temps, et voila tout: c'est mon avis du moins.
Morgan interrogea des yeux ses compagnons, et l'adhesion fut
unanime: seulement, c'etait le sourire sur les levres qu'ils
reconnaissaient que leur perte etait assuree.
II en etait ainsi a cette etrange epoque: on recevait la mort sans
crainte, comme on la donnait sans emotion.
-- Et maintenant, demanda Montbar, n'as-tu rien a ajouter?
-- Si fait, dit Morgan; j'ai a ajouter que rien n'est plus facile
que de nous procurer des chevaux ou meme de partir a pied: nous
sommes tous chasseurs et plus ou moins montagnards. A cheval, il
nous faut six heures pour etre hors de France; a pied, il nous en
faut douze; une fois en Suisse, nous faisons la nique au citoyen
Fouche et a sa police; voila ce que j'avais a ajouter.
-- C'est bien amusant de se moquer du citoyen Fouche, dit Adler,
mais c'est bien ennuyeux de quitter la France.
-- Aussi ne mettrai-je aux voix ce parti extreme qu'apres que nous
aurons entendu le messager de Cadoudal.
-- Ah! c'est vrai, dirent deux ou trois voix, le Breton! ou donc
est le Breton?
-- Il dormait quand je suis parti, dit Montbar.
-- Et il dort encore, dit Adler en designant du doigt un homme
couche sur un lit de paille dans un renfoncement de la grotte.
On reveilla le Breton, qui se dressa sur ses genoux en se frottant
les yeux d'une main et en cherchant par habitude sa carabine de
l'autre.
-- Vous etes avec des amis, dit une voix, n'ayez donc pas peur.
-- Peur! dit le Breton; qui donc suppose la-bas que je puisse
avoir peur?
-- Quelqu'un qui probablement ne sait pas ce que c'est, mon cher
Branche-d'or, dit Morgan (car il reconnaissait le messager de
Cadoudal pour celui qui etait deja venu et qu'on avait recu dans
la chartreuse pendant la nuit ou lui-meme etait arrive a Avignon),
et au nom duquel je vous fais des excuses.
Branche-d'or regarda le groupe de jeunes gens devant lequel il se
trouvait, d'un air qui ne laissait pas de doute sur la repugnance
avec laquelle il acceptait un certain genre de plaisanteries;
mais, comme ce groupe n'avait rien d'offensif et qu'il etait
evident que sa gaiete n'etait point de la raillerie, il demanda
d'un air asse
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