l s'agissait tout a
la fois d'inaugurer le buste de Washington, et de recevoir des
mains du general Lannes les drapeaux d'Aboukir.
C'etait la une de ces combinaisons comme Bonaparte les comprenait,
un eclair tire du choc de deux contrastes.
Ainsi il prenait un grand homme au monde nouveau, une victoire au
vieux monde, et il ombrageait la jeune Amerique avec les palmes de
Thebes et de Memphis!
Au jour fixe pour la ceremonie, six mille hommes de cavalerie
etaient echelonnes du Luxembourg aux Invalides.
A huit heures, Bonaparte monta a cheval dans la grande cour du
palais consulaire, et, par la rue de Tournon, se dirigea vers les
quais, accompagne d'un etat-major de generaux dont le plus vieux
n'avait pas trente-cinq ans.
Lannes marchait en tete; derriere lui, soixante guides portaient
les soixante drapeaux conquis; puis venait Bonaparte, de deux
longueurs de cheval en avant de son etat-major.
Le ministre de la guerre, Berthier, attendait le cortege sous le
dome du temple; il etait appuye a une statue de Mars au repos;
tous les ministres et conseillers d'Etat se groupaient autour de
lui. Aux colonnes soutenant la voute etaient suspendus deja les
drapeaux de Denain et de Fontenoy et ceux de la premiere campagne
d'Italie; deux invalides centenaires, qui avaient combattu aux
cotes du marechal de Saxe, se tenaient, l'un a la gauche, l'autre
a la droite de Berthier, comme ces cariatides des anciens jours
regardant pardessus la cime des siecles; enfin, a droite, sur une
estrade, etait pose le buste de Washington que l'on devait
ombrager avec les drapeaux d'Aboukir. Sur une autre estrade, en
face de celle-la, etait le fauteuil de Bonaparte.
Le long des bas-cotes du temple s'elevaient des amphitheatres ou
toute la societe elegante de Paris -- celle du moins qui se
ralliait a l'ordre d'idees que l'on fetait dans ce grand jour --
etait venue prendre place.
A l'apparition des drapeaux, des fanfares militaires firent
eclater leurs notes cuivrees sous les voutes du temple.
Lannes entra le premier, et fit un signe aux guides, qui, montant
deux a deux les degres de l'estrade, passerent les hampes des
drapeaux dans les tenons prepares d'avance.
Pendant ce temps, Bonaparte avait, au milieu des applaudissements,
pris place dans son fauteuil.
Alors, Lannes s'avanca vers le ministre de la guerre, et, de cette
voix puissante qui savait si bien crier: "En avant!" sur les
champs de bataille:
-- Citoyen ministre, dit
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