-- Tu conduis, demain, la malle de Chambery?
-- Un peu; a six heures.
-- Eh bien, supposons qu'Antoine soit un bon garcon.
-- C'est tout suppose, il l'est.
-- Eh bien, voici ce que fait Antoine...
-- Voyons, que fait-il?
-- D'abord, il vide son verre.
-- Ce n'est pas difficile... c'est fait.
-- Puis il prend ces dix louis.
Montbar aligna dix louis sur la table.
-- Ah! ah! fit Antoine, des jaunets, des vrais! Je croyais qu'ils
avaient tous emigre, ces diables-la!
-- Tu vois qu'il en reste.
-- Et que faut-il qu'Antoine fasse pour qu'ils passent dans sa
poche?
-- Il faut qu'Antoine me prete son plus bel habit de postillon.
-- A vous?
-- Et me donne sa place demain au soir.
-- Eh! oui, pour que vous voyiez la belle Josephine sans etre
reconnu.
-- Allons donc! J'arrive a huit heures a Belleville, j'entre dans
la cour, je dis que les chevaux sont fatigues, je les fais reposer
jusqu'a dix heures, et, de huit heures a dix...
-- Ni vu ni connu, je t'embrouille le pere Lollier.
-- Eh bien, ca y est-il, Antoine?
-- Ca y est! on est jeune, on est du parti des jeunes; on est
garcon, on est du parti des garcons; quand on sera vieux et papa,
on sera du parti des papas et des vieux, et on criera: "Vivent les
ganaches!"
-- Ainsi, mon brave Antoine, tu me pretes ta plus belle veste et
ta plus belle culotte?
-- J'ai justement une veste et une culotte que je n'ai pas encore
mises.
-- Tu me donnes ta place?
-- Avec plaisir.
-- Et moi, je te donne d'abord ces cinq louis d'arrhes.
-- Et le reste?
-- Demain, en passant les bottes; seulement, tu auras une
precaution...
-- Laquelle?
-- On parle beaucoup de brigand qui devalisent les diligences; tu
auras soin de mettre des fontes a la selle du porteur.
-- Pour quoi faire?
-- Pour y fourrer des pistolets.
-- Allons donc! n'allez-vous pas leur faire du mal a ces braves
gens?
-- Comment! tu appelles braves gens des voleurs qui devalisent les
diligences?
-- Bon! on n'est pas un voleur parce qu'on vole l'argent du
gouvernement.
-- C'est ton avis.
-- Je crois bien, et encore que c'est l'avis de bien d'autres. Je
sais bien, quant a moi, que, si j'etais juge, je ne les
condamnerais pas.
-- Tu boirais peut-etre a leur sante?
-- Ah! tout de meme, ma foi, si le vin etait bon.
-- Je t'en defie, dit Montbar en versant dans le verre d'Antoine
tout ce qui restait de la seconde bouteille.
-- Vous savez le proverbe?
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