me; c'est la-bas...
Et de sa main, il montra l'Orient.
-- Pour le moment, je vous le repete, il s'agit, non pas de
guerre, mais de paix: j'ai besoin de la paix pour accomplir le
reve que je fais, et surtout de la paix avec l'Angleterre. Vous
voyez que je joue cartes sur table: je suis assez fort pour etre
franc. Le jour ou un diplomate dira la verite, ce sera le premier
diplomate du monde, attendu que personne ne le croira, et que, des
lors, il arrivera sans obstacle a son but.
-- J'aurai donc a dire a mon oncle que vous voulez la paix?
-- Tout en lui disant que je ne crains pas la guerre. Ce que je ne
fais pas avec le roi George, vous le voyez, je puis le faire avec
l'empereur Paul; mais la Russie n'en est pas au point de
civilisation ou je la voudrais pour en faire une alliee.
-- Un instrument vaut quelquefois mieux qu'un allie.
-- Oui; mais, vous l'avez dit, l'empereur est fou, et, au lieu
d'armer les fous, milord, mieux vaut les desarmer. Je vous dis
donc que deux nations comme la France et l'Angleterre doivent etre
deux amies inseparables ou deux ennemies acharnees: amies, elles
sont les deux poles de la terre, equilibrant son mouvement par un
poids egal; ennemies, il faut que l'une detruise l'autre et se
fasse l'axe du monde.
-- Et si lord Grenville, sans douter de votre genie, doutait de
votre puissance; s'il est de l'avis de notre poete Coleridge, s'il
croit que l'Ocean au rauque murmure garde son ile et lui sert de
rempart, que lui dirai-je?
-- Deroulez-nous une carte du monde, Bourrienne, dit Bonaparte.
Bourrienne deroula une carte; Bonaparte s'en approcha.
-- Voyez-vous ces deux fleuves? dit-il.
Et il montrait a sir John le Volga et le Danube.
-- Voila la route de l'Inde, ajouta-t-il.
-- Je croyais que c'etait l'Egypte, general, dit sir John.
-- Je l'ai cru un instant comme vous, ou plutot, j'ai pris celle-
la parce que je n'en avais pas d'autre. Le tzar m'ouvre celle-ci;
que votre gouvernement ne me force point a la prendre! Me suivez-
vous?
-- Oui, citoyen; marchez devant.
-- Eh bien, si l'Angleterre me force a la combattre, si je suis
oblige d'accepter l'alliance du successeur de Catherine, voici ce
que je fais: j'embarque quarante mille Russes sur le Volga; je
leur fais descendre le fleuve jusqu'a Astrakan; ils traversent la
mer Caspienne et vont m'attendre a Asterabad.
Sir John s'inclina en signe d'attention profonde.
Bonaparte continua.
-- J'embarque quarante
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