onaparte revenait rarement sur une decision arretee, meme quand
il l'avait reconnue injuste; jamais nul ne lui entendit dire:
"J'ai eu tort." tout au contraire, son mot favori etait: "Je
commence toujours par croire le mal." La maxime etait plus digne
de Timon que d'Auguste.
Mais, avec tout cela, on sentait que c'etait chez Bonaparte plutot
un parti pris d'avoir l'air de mepriser les hommes que de les
mepriser veritablement. Il n'etait ni haineux ni vindicatif;
seulement, parfois croyait-il trop a la _necessite_, la deesse aux
coins de fer; au reste, hors du champ de la politique, sensible,
bon, accessible a la pitie, aimant les enfants, grande preuve d'un
coeur doux et pitoyable, ayant dans la vie privee de l'indulgence
pour les faiblesses humaines, et parfois une certaine bonhomie,
celle de Henri IV jouant avec ses enfants, malgre l'arrivee de
l'ambassadeur d'Espagne.
Si nous faisions ici de l'histoire, nous aurions encore bien des
choses a dire de Bonaparte, sans compter -- quand nous aurions
fini avec Bonaparte -- ce qui nous resterait a dire de Napoleon.
Mais nous ecrivons une simple chronique dans laquelle Bonaparte
joue son role; par malheur, la ou se montre Bonaparte, ne fit-il
qu'apparaitre, il devient, malgre le narrateur, un personnage
principal.
Qu'on nous pardonne donc d'etre retombe dans la digression, cet
homme qui est a lui seul tout un monde, nous a, en depit de nous-
meme, entraine dans son tourbillon.
Revenons a Roland et, par consequent, a notre recit.
XXXVII -- L'AMBASSADEUR
Nous avons vu qu'en rentrant, Roland avait demande le premier
consul, et qu'on lui avait repondu que le premier consul
travaillait avec le ministre de la police.
Roland etait le familier de la maison; quel que fut le
fonctionnaire avec lequel travaillat Bonaparte, a son retour d'un
voyage ou d'une simple course, il avait l'habitude d'entr'ouvrir
la porte du cabinet et de passer la tete.
Souvent le premier consul etait si occupe, qu'il ne faisait pas
attention a cette tete qui passait.
Alors, Roland prononcait ce seul mot:
"General!" ce qui voulait dire dans cette langue intime que les
deux condisciples avaient continue de parler: "General, je suis
la; avez-vous besoin de moi? j'attends vos ordres." Si le premier
n'avait pas besoin de Roland, il repondait: "C'est bien." Si, au
contraire, il avait besoin de lui, il disait ce seul mot: "Entre."
Roland entrait alors, et attendait dans l'embrasure d'une
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