, aux differentes
epoques ou se sont revelees les grandes vues providentielles
auxquelles il etait appele: ainsi, nous avons des portraits de
Bonaparte general en chef, de Bonaparte premier consul et de
Napoleon empereur, et, quoique peintres ou statuaires aient saisi,
plus ou moins heureusement, le type de son visage, on peut dire
qu'il n'existe pas, ni du general, ni du premier consul, ni de
l'empereur, un seul portrait ou buste parfaitement ressemblant.
C'est qu'il n'etait pas donne, meme au genie, de triompher d'une
impossibilite; c'est que, dans la premiere periode de la vie de
Bonaparte, on pouvait peindre ou sculpter son crane proeminent,
son front sillonne par la ride sublime de la pensee, sa figure
pale, allongee, son teint granitique et l'habitude meditative de
sa physionomie; c'est que, dans la seconde, on pouvait peindre ou
sculpter son front elargi, son sourcil admirablement dessine, son
nez droit, ses levres serrees, son menton modele avec une rare
perfection, tout son visage enfin devenu la medaille d'Auguste;
mais que ni buste ni portrait ne pouvaient rendre ce qui etait
hors du domaine de l'imitation, c'est-a-dire la mobilite de son
regard: le regard, qui est a l'homme ce que l'eclair est a Dieu,
c'est-a-dire la preuve de sa divinite.
Ce regard, dans Bonaparte, obeissait a sa volonte avec la rapidite
de l'eclair; dans la meme minute, il jaillissait de ses paupieres
tantot vif et percant comme la lame d'un poignard tire violemment
du fourreau, tantot doux comme un rayon ou une caresse, tantot
severe comme une interrogation ou terrible comme une menace.
Bonaparte avait un regard pour chacune des pensees qui agitaient
son ame.
Chez Napoleon, ce regard, excepte dans les grandes circonstances
de sa vie, cesse d'etre mobile pour devenir fixe; mais, fixe, il
n'en est que plus impossible a rendre: c'est une vrille qui creuse
le coeur de celui qu'il regarde et qui semble vouloir en sonder
jusqu'a la plus profonde, jusqu'a la plus secrete pensee.
Or, le marbre et la peinture ont bien pu rendre cette fixite; mais
ni l'un ni l'autre n'ont pu rendre la vie, c'est-a-dire l'action
penetrante et magnetique de ce regard.
Les coeurs troubles ont les yeux voiles.
Bonaparte, meme au temps de sa maigreur, avait de belles mains; il
mettait a les montrer une certaine coquetterie. Lorsqu'il
engraissa, ses mains devinrent superbes; il en avait un soin tout
particulier, et, en causant, les regardait avec complai
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