ucune methode de travail n'etait adoptee; c'etait une affaire
d'urgence ou de caprice: ou Bonaparte dictait, ou Bourrienne
faisait une lecture; apres quoi, le premier consul se rendait au
conseil.
Dans les premiers mois, il etait oblige, pour s'y rendre, de
traverser la cour du petit Luxembourg; ce qui, par les temps
pluvieux, le mettait de mauvaise humeur; mais, vers la fin de
decembre, il avait pris le parti de faire couvrir la cour. Aussi,
depuis cette epoque, rentrait-il presque toujours en chantant dans
son cabinet.
Bonaparte chantait presque aussi faux que Louis XV.
Une fois rentre chez lui, il examinait le travail qu'il avait
commande, signait quelques lettres, s'allongeait dans son
fauteuil, dont, tout en causant, il taillait un des bras avec son
canif; s'il n'etait point en train de causer, il relisait les
lettres de la veille ou les brochures du jour, riait dans les
intervalles avec l'air bonhomme d'un grand enfant; puis, tout a
coup, comme se reveillant d'un songe, il se dressait tout debout,
disant:
-- Ecrivez, Bourrienne.
Et alors, il indiquait le plan d'un monument a eriger, ou dictait
quelqu'un de ces projets immenses qui ont etonne -- disons mieux -
- qui ont parfois epouvante le monde.
A cinq heures, on dinait; apres le diner, le premier consul
remontait chez Josephine, ou il recevait habituellement la visite
des ministres, et particulierement celle du ministre des affaires
exterieures, M. de Talleyrand.
A minuit, quelquefois plus tot, jamais plus tard, il donnait le
signal de la retraite, en disant brusquement:
-- Allons nous coucher.
Le lendemain, a sept heures du matin, la meme vie recommencait,
troublee seulement par les incidents imprevus.
Apres les details sur les habitudes particulieres au genie
puissant, que nous tentons de montrer sous son premier aspect, il
nous semble que doit venir le portrait.
Bonaparte, premier consul, a laisse moins de monuments de sa
propre personne que Napoleon empereur; or, comme rien ne ressemble
moins a l'empereur de 1812 que le premier consul de 1800,
indiquons, s'il est possible, avec notre plume, ces traits que le
pinceau ne peut traduire, la physionomie que le bronze ni le
marbre ne peuvent fixer.
La plupart des peintres et des sculpteurs dont s'honorait cette
illustre periode de l'art, qui a vu fleurir les Gros, les David,
les Prud'hon, les Girodet et les Bosio, ont essaye de conserver a
la posterite les traits de l'homme du destin
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