vaincues, ma veste sur le dos et ma feuille de route dans la poche,
le 28 aout, en qualite de zouave de deuxieme classe au 3e regiment, je
partis pour Rethel avec un billet qui ne me garantissait le voyage que
jusqu'a Reims. Je n'avais d'ailleurs ni fusil, ni cartouches. Tout mon
bagage se composait d'un tartan qui renfermait deux chemises de
flanelle, trois ou quatre paires de chaussettes de laine et quelques
mouchoirs. Ma fortune etait cachee dans une ceinture, ou, en cherchant
bien, on eut trouve un assez bon nombre de pieces d'or.
Il y avait dans le compartiment dans lequel j'etais monte, une femme
enveloppee d'un manteau qui pleurait sous son voile et un ingenieur
qui prenait des notes. Ma voisine m'apprit entre deux sanglots qu'elle
avait un fils et un frere a l'armee. Elle n'en avait point de
nouvelles depuis quinze jours. L'ingenieur voyageait pour la
destruction des oeuvres d'art, telles que viaducs, ponts et tunnels.
Il en avait une centaine a faire sauter. C'etait une mission de
confiance. Son crayon voltigeait sur le calepin et il honorait
quelquefois son voisin d'un sourire modestement orgueilleux.
La guerre et ses consequences, la guerre et ses probabilites faisaient
tous les frais de la conversation. On n'avait rien a apprendre et on
parlait toujours. Chaque voyageur qui montait apportait son contingent
de nouvelles. La plupart reposaient sur des renseignements fournis par
le hasard. Ils ne mentaient pas moins que les depeches. Le blame avait
plus de part a l'entretien que l'eloge. L'un attaquait l'etat-major,
un autre l'intendance. On improvisait des plans de campagne
magnifiques qui n'avaient d'autre defaut que d'etre impraticables.
Leurs auteurs retournaient a leurs affaires ca et la; celui-la dans
son chateau, celui-ci dans sa boutique.
A la station de Reims, ou l'on n'attendait pas encore le roi
Guillaume, tous mes compagnons de route descendirent. Un officier
d'artillerie, qui semblait avoir fait cent lieues a travers champs,
monta, etendit ses jambes crottees sur les coussins, soupira, se
retourna, et se mit a ronfler comme une batterie. Vers deux heures du
matin, le convoi s'arreta a Rethel. Il ne s'agissait plus maintenant
que de decouvrir le 3e zouaves. Il pleuvait beaucoup, et la ville
etait encore dans l'epouvante d'une visite qu'elle avait recue la
veille. Quatre uhlans avaient pris Rethel; mais, trop peu nombreux
pour garder cette sous-prefecture, ils etaient repartis comme ils
etaient
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