ait tout rempli de dames belges empressees autour
des malheureux qui sortaient des wagons. Elles faisaient connaissance
avec les plus effroyables miseres. Quelques-unes joignaient les mains
a notre aspect.
--Ces pauvres soldats francais! repetaient-elles.
Parmi ceux auxquels elles voulaient prodiguer leurs soins et leurs
aumones, plusieurs tombaient d'inanition. On les voyait s'abattre sur
les bancs ou se trainer, avec de longs efforts. On en recueillit un
certain nombre dans une caserne voisine ou ils trouverent a manger,
mais ils y resterent prisonniers. J'etais resolu a n'avoir affaire a
personne et a me suffire a moi-meme. Cependant une dame qui devait
appartenir au monde le plus elegant de Namur, si j'en juge par la
toilette, me voyant boiter tres-bas, s'approcha et d'un air de pitie
s'offrit a me panser.
--Merci, madame, ce n'est rien, lui dis-je.
Elle me suivit et voulut glisser dans ma main une piece de monnaie:
--Prenez au moins cela, ce sera pour vous acheter du pain et du tabac,
reprit-elle doucement.
Je ne pus m'empecher de sourire et, lui rendant sa piece blanche, je
l'engageai a la donner a de plus miserables que moi. Elle parut un peu
surprise; mais la laissant la, les deux mains dans les poches de mon
pantalon de toile bleue, je sortis de la gare.
Un hotel se trouvait en face. Je me dirigeai vers cet hotel et
demandai une chambre au garcon qui attendait devant la porte. Il prit
une attitude et me toisant de la tete aux pieds:
--Nous ne recevons pas de mendiants, me dit-il.
J'avais bonne envie de lever le pied qui m'obeissait encore et de lui
en faire sentir la vigueur, mais ce n'etait pas le moment de faire une
algarade; je tournai le dos au garcon frise et cherchai fortune
ailleurs. Il me semblait que je marchais dans un reve. Etais-je bien
dans la realite? Une boutique dans laquelle on vendait du tabac se
trouva devant moi, j'y entrai. La marchande etait jeune et avait l'air
avenant; j'avancai une piece d'or sur le comptoir et lui exposai ma
situation.
--Ah! je comprends, dit-elle en me regardant, suivez-moi...
Elle se leva, et d'un pied leste me conduisit dans une maison garnie
du voisinage assez propre ou les petits marchands et les ouvriers
tranquilles trouvaient gite.
--Une nuit est bientot passee, me dit-elle alors.
Le sommeil en prit la totalite; j'avais un besoin de dormir dont rien
ne pouvait combler l'arriere. Il fallut me secouer au petit jour pour
me faire prend
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