ogent, le village apres le bois; mais
alors des ordres transmis a la hate nous faisaient faire de courtes
haltes. Les zouaves en profitaient pour soulager leurs epaules par
cette secousse rapide qui releve le sac, et dont leurs muscles ont
l'habitude. Les deux mains sur le canon de leur fusil, ils
attendaient, et, apres quelques minutes, ils reprenaient leur marche.
Un moment vint cependant ou toute la colonne s'arreta. Je deposai mon
sac avec une sorte de volupte; mes reins pliaient sous le poids.
Les officiers passerent sur le front des compagnies, et firent former
les faisceaux en assignant leur lieu de campement a chacune
d'elles.--Inutile de dresser les tentes, et surtout pas de feu, nous
dit-on.--L'action devait donc s'engager de bonne heure? l'ennemi etait
donc bien pres? Des chuchotements legers coururent dans les rangs,
puis chacun commenca ses preparatifs. Savait-on combien de nuits on
avait encore a dormir? Le froid piquait ferme, je pris ma couverture
et mon capuchon avec lesquels je m'enveloppai, et, bien serres l'un
contre l'autre pour nous tenir chauds, mon sergent-major et moi, nous
nous etendimes sur l'herbe trempee de rosee. Presque aussitot nous
dormions.
Ce sentiment de froid qui precede le matin nous reveilla. Le regiment
fut sur pied en quelques minutes. A genoux dans la rosee, chacun roula
sa couverture encore humide et la boucla sur le sac. Il faisait
presque nuit; nos regards interrogeaient l'horizon. Les compagnies se
rangeaient dans l'ombre, on en voyait confusement les lignes noires;
des murmures de voix en sortaient. Une anxiete sourde nous devorait;
des soldats essuyaient le canon de leur fusil avec les pans de leur
capuchon, ou cherchaient des chiffons gras pour en nettoyer la
culasse; d'autres serraient leurs guetres. Il se faisait de place en
place des mouvements pleins de sourdes rumeurs; des officiers
toussaient en se promenant; l'obscurite s'en allait; deux heures se
passerent ainsi. La route par laquelle nous etions venus et qui
s'etendait derriere nous, etait encombree de convois de vivres, de
regiments en marche et de trains d'artillerie. On entendait le cahot
des roues dans les ornieres et les jurons des conducteurs; les soldats
filaient par les bas cotes.
Les cretes voisines s'eclairerent, tout le paysage m'apparut; nous
avions campe entre les forts de Nogent et de Rosny. Une foret de
baionnettes etincelait, et des files de canons passaient. A huit
heures, l'ordre vint de
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