mettre sac au dos. La colonne s'ebranla, on se
regarda; chaque regard semblait dire: Ca va chauffer! Nous ecoutions
toujours; le canon allait gronder certainement. Les minutes, les
quarts d'heure s'ecoulaient; quelques sons rares fendaient l'air; nous
marchions alors sur une sorte de petit plateau qui descendait en pente
douce jusqu'au remblai du chemin de fer de l'Est. La tout a coup le
regiment s'arreta, noua avions parcouru 800 metres.
--Ce sera pour tout a l'heure, se dit-on.
Quelques minutes apres, nous avions mis bas nos sacs, et nos
officiers, prevenus par l'etat-major, nous invitaient a faire la
soupe. Cette invitation est toujours une chose a laquelle le soldat se
rend avec plaisir: ces cuisines en plein vent, si tot creusees au pied
d'un mur et sur les talus d'une haie, l'egayent et le reconfortent;
mais en ce moment elle fut recue avec de sourds murmures. Etait-ce
donc pour manger la soupe qu'on nous avait fait venir de Courbevoie a
Nogent! A quoi pensaient nos generaux? Leur mollesse deviendrait-elle
de la paralysie? Tout en grondant et grognant, on ramassait du bois et
on allumait le feu. Les marmites bouillaient, les gamelles se
remplissaient; mais on avait l'oeil et l'oreille au guet, pret a les
renverser au moindre signal. Les officiers fumaient, allant et venant
d'un air ennuye. La soupe avalee, chacun de nous grimpa sur un tertre
ou sur le remblai du chemin de fer pour regarder au loin. Quelques
coups de fusil eclataient par intervalles. Etait-ce le commencement de
l'action? A deux heures, on nous donna l'ordre de camper. Ce fut comme
un coup de massue. Plus de bataille a esperer. Ceux-ci se plaignaient,
ceux-la juraient. Pourquoi ne pas nous faire planter des pommes de
terre? Les philosophes, il y en a meme parmi les zouaves, se
couchaient au soleil sur le revers d'un fosse. Les curieux s'en
allaient en quete de renseignements. J'appris enfin que le coup etait
manque. On remettait la bataille au lendemain. La Marne, disait-on,
avait subi une crue dans la nuit, et le pont de chevalets s'etait
trouve trop court. Le tablier meme en avait ete emporte. C'etait
encore un tour de cette malchance qui nous poursuivait depuis
Wissembourg. Ce pont trop court m'etait suspect. Il me sembla qu'on
mettait au compte de la Marne une mesaventure dont la responsabilite
retombait sur nos ingenieurs. Les chuchotements de bivouac me firent
supposer bientot que, dans leurs calculs, les constructeurs du pont
s'etaient tr
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