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nous devions nous lever le lendemain a quatre heures. Aucune idee de
mort ne me preoccupait: j'avais cette idee bizarre, mais enracinee,
que rien jamais ne m'arriverait.
A quatre heures, nous etions tous debout; c'etait la fameuse journee
du 30 novembre qui allait commencer. Un mouvement silencieux animait
notre campement. Accroupi comme les autres dans la rosee, je
defaisais ma tente et en ajustais les piquets sur le sac. On n'y
voyait presque pas. Quelques tisons fumaient encore; des zouaves
presentaient leurs mains a la chaleur qui s'en degageait. Quelques-uns
parlaient bas. Il y avait comme de la gravite dans l'air. Nos
officiers, la cigarette aux levres, allaient autour de nous comme des
chiens de berger. Quelques soldats se promenaient lentement a l'ecart;
ils ne savaient pas pourquoi; des tristesses leur passaient par
l'esprit. Vers cinq heures, on defit les faisceaux et chaque compagnie
prit son rang. Une demi-heure apres, nous etions en route; nos pas
sonnaient sur la terre dure.
Le chemin etait encombre de voitures et de fourgons. Il fallait
descendre dans les champs. La clarte se faisait; nous voyions des
colonnes passer, a demi perdues dans la brume du matin. Il s'elevait
de partout comme un bourdonnement. Les cretes voisines se
couronnaient de troupes; des pieces d'artillerie prenaient position.
Notre regiment s'arreta sur un petit plateau, a 200 metres sur la
gauche de Neuilly-sur-Marne. Nous etions entre le village et la ligne
du chemin de fer. Un soleil radieux se leva; il faisait un temps
splendide. Un sentiment de joie parcourut le regiment. Quelques-uns
d'entre nous penserent au soleil legendaire d'Austerlitz. Etait-ce le
meme soleil qui brillait? Deux heures se passerent pour nous dans
l'immobilite, a cette meme place, sous Neuilly. Tantot on deposait les
sacs, tantot on les reprenait. Les alertes suivaient les alertes. On
avait des acces de fievre.
Un premier coup de canon partit, le regiment tressaillit; la bataille
s'engageait. Bientot les coups se suivirent avec rapidite. On
regardait les flocons de fumee blanche. Du cote des Prussiens, rien
ne repondait. Ce silence inquietait plus que le vacarme de
l'artillerie. Il etait clair que nous devions traverser la Marne. De
la place ou je me dressais sur la pointe des pieds pour mieux saisir
l'ensemble des mouvements, je voyais parfaitement le pont jete sur la
riviere. On en calculait la longueur.
--C'est la qu'on va danser! me dit un voi
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