'ou il faisait voler
des lambeaux de chair avec des paquets de terre. Un seul obus nous
vint en aide en tuant un cheval qui servit au ravitaillement de la
compagnie. Nous tenions bon cependant, et, depuis quelques heures, de
cinq minutes en cinq minutes, on relayait les camarades aux
meurtrieres, lorsque, a six heures du soir, ordre vint d'evacuer la
ferme. Une main frappa mon epaule.
--Te l'avais-je dit? s'ecria Michel.
Je n'avais rien a repondre, et a mon rang, le fusil sur l'epaule, je
suivis ma compagnie, qui avait pour mission de couvrir la retraite de
la division de Bellemare. Vers neuf heures, nous arrivions a Bondy,
ou, en attendant les ordres, quelques-uns de nos hommes, harasses de
fatigue, dormaient debout, le sac au dos, les mains sur le fusil.
Deux ou trois jours se passerent la en pleine misere; parfois on avait
l'abri de quelque maison a laquelle on arrachait une poutre ou un
reste de parquet pour faire du feu; parfois on campait sur la route et
dans la neige. Le froid nous rongeait. Il semblait s'immobiliser dans
son intensite. On attendait le matin, on attendait le soir; les heures
se passaient dans ces longues attentes, l'arme au pied ou les fusils
en faisceaux. On s'engourdissait dans l'epuisement.
Ce fut le moment que mon capitaine choisit pour tomber malade. Il
trainait depuis quelque temps malgre sa jeunesse et son energie. Un
soir, la fievre le prit; il eut froid, il eut chaud; il se laissa
tomber sur quelques brins de paille et y resta a demi mort. Un medecin
qui passait par la s'arreta et me declara qu'il avait la petite
verole.--S'il en revient, ce sera drole.--Il faisait un froid de 14
degres. Pour remede rien que de l'eau-de-vie et de la neige fondue que
je lui faisais boire alternativement. Quand il avait faim, il machait
un morceau de cheval cru; je lui donnais ce que j'avais sous la main.
Je lui demandai s'il voulait etre porte a l'ambulance.--Jamais!
cria-t-il.--La fievre le secouait toujours, et ses dents claquaient.
Son visage etait d'un rouge sombre; mais, comme je n'y voyais pas de
boutons, je croyais que le docteur s'etait trompe. Le bataillon
cependant campait de ci, de la, un jour au bord du canal de l'Ourcq,
en plein air, un jour a Noisy-le-Sec, dans une salle de bal. Je ne
quittais pas mon capitaine, qui de son cote m'offrait toujours la
moitie de sa botte de paille, quand il en avait une; nous dormions
sous la meme couverture. Le cinquieme jour, il etait a peu pres
reta
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