Je laissai tomber la lettre. Il y avait par terre, devant moi, un
pauvre grenadier dont la tete etait brisee.
XIV
Une halte nous reunit pres d'une espece de remblai ou chacun se tint
sur le qui-vive, le doigt sur la gachette, pret a faire feu et le
faisant quelquefois. Nous avions devant nous des lignes de fumee
blanche d'ou sortaient des projectiles. J'etais fait a ce bruit, qui
n'avait plus le don de m'emouvoir; je savais que la mort qui vole dans
ce tapage ne s'en degage pas aussi souvent qu'on le croit. Tout
siffle, tout eclate, et on se retrouve vivant et debout apres la
bataille, comme le matin au sortir de la tente; mais ce qui m'etonnait
encore, c'etait le temps qu'on passait a chercher un ennemi qu'on ne
decouvrait jamais. On ne se doutait de sa presence que par les obus
qu'il nous envoyait. Il en venait du fond des bois, des coteaux, des
vallons, des villages, et par rafales, et personne ne savait au juste
ou manoeuvraient les regiments que ces feux violents protegeaient.
J'avais presents a la memoire ces tableaux et ces images ou l'on voit
des soldats qui combattent a l'arme blanche et se chargent avec furie;
au lieu de ces luttes heroiques, j'avais le spectacle de longs duels
d'artillerie auxquels l'infanterie servait de temoin ou de complice,
selon les heures et la disposition du terrain.
L'inquietude des premiers moments eteinte, ce que j'eprouvais, c'etait
l'impatience. Ces temps d'arret toujours renouveles, ces courses qui
n'aboutissaient a aucune rencontre, me causaient une sorte
d'exasperation morale dont j'avais peine a me defendre. Je commencai a
comprendre le sens profond d'un mot qui m'avait ete dit par un vieux
compagnon a qui je demandais a quoi sert une baionnette.--Cela sert a
faire peur, m'avait-il repondu. Au plus fort de mes reflexions, une
balle egratigna la terre a cinq pouces de ma tete, sur ma gauche, et
un eclat d'obus rebondit sur un caillou qu'il brisa a ma droite.
--Toi, tu peux etre tranquille, me dit un camarade, jamais rien ne
t'ecorchera la peau.
La nuit se faisait. Un capitaine prit avec lui une section et la placa
en grand'garde. J'etais de ceux qui restaient sur le remblai. On nous
permit de nous etendre par terre, a la condition de ne rien deboucler,
ni du sac ni de l'equipement, et d'avoir toujours le fusil a portee de
la main. J'eus bientot fait de mettre bas mon sac et de me coucher
dans un creux, le chassepot entre les jambes. J'avais les paupieres
lou
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