les
epaules se rendormaient tandis que je tirais leurs camarades par les
jambes. L'un grognait, l'autre ronflait, aucun ne bougeait. Je me mis
a jouer des pieds et des mains au hasard, marchant dans le tas. Le
premier qui se leva voulut crier, je le fis taire d'un coup de poing;
en une minute, la corvee etait debout, presque eveillee. Marcher en
tete de mes hommes, c'etait m'exposer a en perdre la moitie chemin
faisant. Je pris la queue du cortege et arrivai au lieu du
rendez-vous. Il n'y avait personne sur la place de l'eglise; j'en fis
le tour une fois, deux fois, trois fois;--rien, pas un soldat, pas un
comptable; le village semblait mort. La corvee maugreait, battait la
semelle, courait, frappait du pied. Deux heures sonnerent, rien
encore. Mes hommes allaient et venaient, cognant aux portes.
Quelques-uns tombaient dans les coins et s'y rendormaient; j'aurais
voulu faire comme eux. Le froid etait abominable. J'envoyai dans
toutes les directions et, bien sur enfin qu'il n'y aurait point de
distribution a Petit-Bry, je m'en retournai au campement.
Vers six heures du matin, le petillement de quelques coups de fusil me
reveilla; ils partaient de la tranchee, ou une section de ma compagnie
etait de grand'garde et nous couvrait. Chacun de nous prit son rang,
sac au dos. La fusillade devint bientot rapide et vive; les balles
prussiennes passaient au-dessus de nos tetes par volees, avec de longs
sifflements; tout a coup notre capitaine donna le signal de l'attaque,
et criant a gorge deployee: _Attaou! attaou!_ ce mot terrible qui
avait retenti a Reischoffen et dont les syllabes arabes signifient
_Tue! tue!_ il se precipita en avant. Nous le suivimes. Il y eut un
instant terrible ou les balles s'eparpillaient au milieu de nous dru
comme la grele. Comment passe-t-on a travers cette pluie? Mais nous
etions laches comme une meute de chiens courants, et, bondissant a
cote de ceux qui tombaient, toujours guides par le farouche _attaou_
du capitaine, nous atteignimes en un instant la tranchee ou les fusils
a aiguille et les chasse-pots echangeaient leurs coups. Allais-je
enfin avoir la joie d'un combat corps a corps? Les Prussiens, qui
avaient joue le meme jeu que la veille, mais avec moins de succes, et
pousse en avant jusqu'a nos postes, resteraient-ils a portee de notre
elan?
En attendant qu'un peu de clarte nous permit de les reconnaitre, nous
tirions a volonte. Ceux-la brulaient vingt cartouches en cinq minutes;
ceux-ci
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