tait a la 1re compagnie qu'appartenait le perilleux honneur de
prendre la tete de la colonne. Le general Carre de Bellemare et son
etat-major nous precedaient. Le pont plia sous notre marche. Je ne
sais pourquoi, mais en ce moment je me mis a penser au pont d'Arcole,
dont j'avais vu tant de gravures, avec le grenadier qui tombe, les
bras en avant. Mon coeur se mit a battre. Je serrai nerveusement la
crosse de mon fusil. J'avais un peu peur. Par combien d'obus et par
quels milliers de balles n'allions-nous pas etre accueillis sur ce
tablier ouvert a tous les vents! Je me voyais deja faisant la culbute
comme le soldat de la gravure et plongeant dans la riviere. J'ai
toujours admire ceux qui parlent de leur indifference en pareille
occasion; mais est-elle aussi magnifique qu'ils le racontent? Quant a
moi, ma vertu n'avait point le temperament aussi solide, et, si
j'etais resolu a faire mon devoir, ma force n'allait point jusqu'a cet
oubli de la crainte.
Cependant nous avancions toujours; ni boulets, ni mitraille, rien.
Quelle surprise diabolique nous reservait-on? Le fer et le plomb
allaient certainement tomber tout a coup dru comme grele. Point. Le
general, qui avait pris la tete, marchait au pas de son cheval, le
poing sur la hanche. J'avais les yeux sur son kepi aux galons d'or.
N'allait-il pas voler dans l'espace? Toujours meme silence. Decidement
les Prussiens ont le caractere mieux fait que je ne le supposais.
Est-ce negligence ou mansuetude? Le pont est franchi; le cheval du
general pose ses sabots sur la terre. Nous respirons. Il nous semble
que le plus gros de la besogne est fait. Tous a terre et le coeur
soulage, on nous disperse en tirailleurs, et je me porte en avant
parmi ces buissons que les mitrailleuses ont fouilles. C'est a present
que les chassepots vont jouer! Les zouaves se jettent de droite a
gauche a travers les taillis comme un troupeau de chevres. Les
branches violemment fendues nous couvrent le visage d'eclats de givre.
Je vois briller l'epee nue de nos officiers, qui donnent l'exemple.
--C'est comme en Afrique! me dit un vieux zouave tout charge de
chevrons et de medailles, qui s'est evade comme moi de la presqu'ile
de Glaires.
Un coup de clairon sonne; nous nous arretons net. Pourquoi ce coup de
clairon? Immediatement nous battons en retraite, et ordre nous vient
de repasser le pont. Je marche tout en regardant mon voisin, qui
regarde le sien. Que se passe-t-il donc? Le canon tonnait toujou
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