t tourne autour
de lui sans l'atteindre. Quoi qu'il en soit, l'effet produit par les
paroles du general Ducrot fut tres-grand; elles electrisaient tout le
monde, elles flattaient l'orgueil national. C'est un peu la faute de
la France si on lui en prodigue en toute occasion; elle les aime,
elle se paye de mots, et croit tout sauve quand des phrases eclatantes
sonnent a ses oreilles; mais ensuite, quand les Francais se reveillent
en face de la realite triste et nue, ils crient a la trahison.
Le regiment se rendit de Courbevoie a la porte Maillot; il marchait
d'un pas ferme et leger malgre le poids des sacs. La le chemin de fer
de ceinture nous prit, et nous descendit a Charonne. Il etait six
heures et demie du soir au depart; la nuit etait donc tout a fait
noire quand nous atteignimes, ranges en colonne de marche, le bois de
Vincennes, que nous devions traverser. On apercevait dans les
profondeurs du bois et le long des avenues les feux de bivouac
allumes. Il faisait un froid apre et dur. Le vent qui secouait les
rameaux depouilles des arbres faisait osciller les flammes et
projetait dans l'ombre des lueurs bizarres et flottantes. Des massifs
etaient soudainement eclaires, d'autres plonges dans les tenebres.
Les armes en faisceau brillaient et semblaient lancer des eclairs
subits. Tout autour des brasiers, des groupes de soldats etaient
couches. Les uns dormaient roules dans leur couverture; on les voyait
comme des boules, la tete cachee sous un pli de laine; d'autres,
assis, les coudes sur les genoux, le visage a la flamme, qui les
couvrait de clartes rouges, semblaient reflechir, le menton pris dans
les mains. D'autres encore, accroupis, tisonnaient et faisaient
jaillir du foyer des gerbes d'etincelles qui les couvraient de reflets
pourpres: c'etait un spectacle a la fois triste et doux. Il devenait
terrible par la pensee quand l'esprit se representait cette masse
d'hommes se levant et se jetant sur d'autres hommes pour les tuer. Le
bruit de notre marche cadencee qui se prolongeait sous les futaies
reveillait a demi les soldats ou attirait l'attention de ceux qui
veillaient. Ils tournaient la tete, nous contemplaient un instant en
silence, puis retombaient dans leur sommeil ou leur reverie.
Le bois de Vincennes traverse, je ne vis plus derriere moi qu'un
rideau noir baigne d'une lueur rouge qui s'eteignait dans la nuit, et
que piquaient des points lumineux; nous marchions toujours. C'est
ainsi que nous traversames N
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