elle-meme l'engageait-elle a ne voir dans
l'epuisement qu'un pretexte? Je l'ignore; mais ce que je sais bien,
c'est que jamais aux etapes prochaines je n'ai revu aucun de ceux qui
tombaient, et que des chariots pouvaient recueillir. Nous etions
partis a neuf heures. Apres la halte d'une demi-heure qu'on nous
accorda vers midi, j'eus quelque peine a me mettre debout. L'un de mes
pieds, le pied gauche, avait la pesanteur du plomb. Il me devenait
impossible de conserver ma bottine, qui me blessait et m'occasionnait
a chaque pas d'intolerables souffrances. Je jetais des regards d'envie
sur les talus gazonnes du chemin. Les animaux avaient le droit de s'y
reposer. Je voyais au milieu des champs des boeufs etendus dans
l'herbe, et il me fallait marcher toujours; n'en pouvant plus, je
tombai sur un tas de pierres et retirai ma chaussure. Les soldats
prussiens, chausses de bottes excellentes, me regardaient faire, tout
prets a mettre le doigt sur la gachette de leur fusil, si j'avais fait
un pas dans les pres voisins. L'heure n'en etait pas venue, car je
n'avais pas renonce a mon projet d'evasion. Je ne faisais qu'y songer,
au contraire, et cette pensee me donnait du coeur. Un sentiment
d'amour-propre aussi me soutenait. D'autres, qui ne souffraient pas
moins que moi, ne marchaient-ils pas? Et pourquoi un engage
volontaire, qui avait passe trois annees sur les bancs de l'ecole de
la rue de Turenne, ne ferait-il pas ce que faisaient tant de braves
gens ramasses dans les greniers d'un faubourg ou les granges d'une
ferme? Et puis n'avais-je pas l'honneur d'appartenir au 3e zouaves,
les zouaves au tambour jaune?
--Tu clampines donc! me dit en passant un camarade qui me vit assis
sur mes cailloux.
Je tirai la-dessus ma bottine et me relevai. Je ne souffrais plus.
C'etait magnifique; malheureusement au bout d'un quart d'heure il ne
restait rien de mes chaussettes de laine; je marchais a nu sur la
plante des pieds. Quand on n'en a pas l'habitude, c'est odieux.
Vers la tombee du jour, nous arrivions a Damvilliers. Ces chaumieres
qui nous indiquaient que le moment de la halte etait venu me parurent
superbes; je faisais mon choix en esprit, caressant de l'oeil les plus
confortables, lorsqu'on nous dirigea vers l'eglise, tous en masse. La
porte s'ouvrit toute grande, on nous y poussa et la porte se referma:
nous venions de trouver le gite que nous destinait la discipline
prussienne. Il y avait la dans la nef et le choeur huit cents
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