le pantalon de toile bleue, ni le gilet, ni la blouse usee aux
coudes et blanchie aux coutures, ni meme la casquette de peau de
loutre rapee ou l'on cherchait vainement vestige de poils. Mes pieds
disparaissaient dans de gros sabots. Mon guide avait vide deux ou
trois bouteilles pour augmenter son courage: il en restait quelque
chose, dont sa marche se ressentait; mais la finesse de l'esprit
campagnard surnageait.
--Et les moustaches? et la barbiche? me dit-il.
Une paire de mauvais ciseaux m'aida a faire tomber de mon visage cet
ornement qui pouvait reveiller l'attention, et je quittai le grenier.
--La pipe et le baton a present, reprit mon homme.
J'achetai une pipe de terre que je bourrai de caporal, et me munis
d'un fort baton qu'un cordonnet de cuir attachait a mon poignet.
--Maintenant, en route sans avoir l'air de rien! ajouta-t-il.
Une chose cependant m'inquietait. Dans la ferveur de mon zele et pour
me donner l'apparence enviee d'un vieux zouave, au moment de mon
depart de Paris, je m'etais fait raser cette partie du crane qui
touche au front. Les cheveux recommencaient a pousser un peu, mais
pas assez pour cacher la difference de niveau. J'enfoncai donc ma
casquette, dont je rabattis la visiere eraillee sur mes sourcils, me
jurant bien de ne saluer personne, le general de Moltke vint-il a
passer devant moi a la tete de son etat-major. Les plus etranges idees
me traversaient l'esprit. Il me semblait que tout le monde me
reconnaissait, ceux meme qui ne m'avaient jamais vu. Quiconque me
regardait n'allait-il pas s'ecrier: C'est un zouave, un fugitif?
J'evitai de rencontrer les yeux des passants. La vue des Prussiens que
je croisais dans les ruelles d'Etain me donnait le frisson. L'un deux
n'allait-il pas me mettre la main au collet? Par exemple, j'etais
decide a me faire tuer sur place. Je m'efforcais d'imiter de mon mieux
la tournure et la marche pesante de mon guide.
--Ca, me disais-je, Etain est donc grand comme une ville?
Nous marchions a peine depuis cinq minutes, et il me semblait que
j'avais parcouru deja deux ou trois kilometres de maisons.
La derniere m'apparut enfin; un soupir de satisfaction saluait deja ma
sortie d'Etain, lorsque sur la route se dessina la silhouette d'une
sentinelle allemande qui se promenait de long en large. Mon compagnon
me jeta un coup d'oeil expressif; fusille ou libre, la question se
posait nettement. Encore trente pas, et nous etions devant la
sentinelle, don
|