etes, me dit le guide, qui penetra sur mes talons dans
le petit bois, la frontiere est passee; la est Virton qui est a la
Belgique, ici Montmedy qui est a la France. Vous n'avez plus a
craindre maintenant que d'etre pris par une patrouille belge et
interne au camp de Beverloo. Mais, soyez tranquille, je sais un homme
qui saura vous faire traverser les lignes belges a la barbe des
chasseurs et des lanciers.
L'homme que nous cherchions,--c'etait un garde,--vidait un pot de
biere dans l'auberge voisine; a la vue de mon guide il en fit venir un
second, j'en demandai un troisieme et la connaissance fut bientot
faite.
Il avait deja tire vingt Francais des griffes des Prussiens et
comptait bien ne pas s'en tenir la. Apres m'avoir fait raconter mon
histoire, dont je ne lui cachai aucun detail, il m'engagea a aller me
coucher et me conduisit lui-meme dans ma chambre. La vue du lit ou il
y avait des draps blancs me donna subitement envie de dormir.--Nous
partons demain matin a six heures. A cinq heures et demie je vous
reveillerai, me dit le garde. Et d'un air gai: Je n'ai pas besoin de
vous souhaiter bonne nuit, n'est-ce pas?
Le fait est que je dormais tout debout. Il faut avoir eu les jambes
endolories par de longues etapes, les pieds meurtris, les jointures
brisees, le corps epuise par d'excessives fatigues, et subi des
sommeils lourds et penibles sur la terre humide et dure, pour
comprendre l'ineffable sensation d'etendre et d'etirer ses membres
dans la fraicheur des draps. Je m'en donnai la joie pendant un quart
d'heure, luttant avec volupte contre ma lassitude. Puis mes yeux se
fermerent, et, berce par la chanson de quelques buveurs, je ne sentis
bientot plus que la tiede chaleur du lit qui m'engourdissait.
Je dormais encore les poings fermes lorsque, de grand matin, mon guide
entra pour me prevenir qu'une voiture m'attendait a la porte.
--Et je vous jure que nous arriverons a temps a la station ou vous
pourrez prendre le chemin de fer.
Il s'interrompit pour prendre dans sa poche son brevet de garde
particulier des proprietes de M. le comte X., et me le
presentant:--Avec ce bout de papier nous irons jusqu'a Bruxelles,
reprit-il.
Des escouades de soldats a cheval ou a pied passaient sur la route;
nous traversions des villages qui en fourmillaient; personne ne nous
demanda rien. Il arrivait quelquefois que des pietons, ou des
campagnards qui filaient en cabriolet, nous saluaient d'un grand
bonjour bruyant. Le
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