a merveille a notre costume. Depuis ce moment-la, si,
d'aventure, nous etions accostes par quelque voyageur qui s'avisait de
nous questionner, la reponse etait toute prete, nous etions
contrebandiers et nous allions en Belgique faire provision de tabac.
Cette voiture rapide ou j'avais vu l'officier prussien nous rattrapa.
Le proprietaire qui la conduisait, malgre son empressement a servir de
cocher a notre ennemi, avait l'air d'un brave homme. Je me hasardai
sur la mine a lui demander s'il ne voudrait pas nous prendre avec
lui.
--Volontiers, repliqua-t-il.
Le proprietaire aimait a causer; il ne se gena pas pour nous demander
ce que nous faisions et ou nous allions. Le tabac repondait a tout.
J'aurais voyage ainsi jusqu'au bout du monde; malheureusement le
proprietaire et le cheval demeuraient a Spincourt ou force nous fut de
leur dire adieu.
Je rattrapai donc mes sabots que j'avais laisses au fond de la
carriole et me remis a marcher, cherchant des yeux si quelque autre
voiture ne se montrerait pas aux environs. Mon compagnon, qui etait a
sa maniere une espece de philosophe, bourra sa pipe et hochant la
tete:
--Nous en avons trouve une, nous en trouverons bien une autre, allons
toujours, me dit-il.
J'allongeai le pas de facon a lui prouver que mes jambes n'avaient
rien perdu de leur activite. Mais tout m'arrivait a souhait depuis
mon entree a Etain. Un vehicule qui tenait de la tapissiere et du
char-a-bancs se presenta, traine par un fort cheval qui faisait tinter
un collier de grelots. Je demandai au conducteur s'il y avait place
aupres de lui pour deux voyageurs un peu fatigues.
--Cela depend, repliqua-t-il d'un air narquois.
Je tirai une piece blanche du fond de ma poche; l'homme sourit et la
voiture s'arreta.
--Je vois ce que c'est, continua-t-il en se tenant dans son coin, vous
etes presses d'arriver en Belgique?
--Un peu, lui dis-je.
--Malheureusement je ne vais qu'a Longuyon.
C'etait autant de gagne; a Longuyon mon guide me fit prendre un
sentier derriere le village et me conduisit chez un paysan qui
connaissait la contree comme s'il en avait dresse le cadastre. Je
m'expliquai cette science geometrique en voyant entre ses jambes un
fusil dont il astiquait la platine. Un chien de chasse dormait, le
museau dans les pattes, sur le carreau de l'atre.
--Je comprends, mes bons amis, ne parlez point, dit le braconnier...
vous voulez gagner la frontiere?... je vais vous mettre dans le bon
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