pas. Je veux cependant que vous ne manquiez de rien.
--Laissez faire le fantassin; il se debrouillera.
Le pansement etait acheve. J'en eprouvai un soulagement subit. Que
benies soient les mains qui m'ont touche! La souffrance eteinte, les
choses m'apparurent sous un aspect moins triste. Il y avait encore du
bon dans la vie. L'appetit se reveilla, et avec cet appetit la volonte
de m'evader.--Dinons d'abord, me dis-je, apres quoi je songerai a mon
projet.
Deja ragaillardi, je descendis a la cuisine ou j'apercus une fille
maigre qui se demenait devant un grand feu. La broche tournait, les
casseroles pleines jusqu'au bord mijotaient sur les fourneaux; il se
degageait de tout cela une odeur qui me montait aux narines.
--Il y aura bien ici un coin pour moi? lui dis-je.
--Je crois bien! cria la fille.
Et de ses mains agiles elle eut bientot fait de dresser mon couvert
sur le coin d'une nappe de toile bise fort propre; plongeant alors la
louche d'etain dans la marmite ou fumait le pot-au-feu, elle remplit
mon assiette jusqu'au bord.
--Avalez-moi ca d'abord... apres vous me direz des nouvelles du
reste.
Jamais je n'ai mieux dine; mon appetit attendrissait la bonne
fille.--Faut-il qu'il ait jeune, bon Dieu! repetait-elle entre ses
dents.
--Ecoutez donc! deux poignees de son delaye dans de l'eau... et de
l'eau ou croupissaient des morts!
--C'est une pitie!... et ce sont des chretiens qui permettent ca!
--Des chretiens a leur maniere.
Elle se mit a rire, puis a pleurer, et s'essuyant les yeux avec le
coin de son tablier d'un air de tristesse:--A quoi ca sert-il la
guerre? me dit-elle.
Je dormis tout d'un trait jusqu'au matin. Les yeux ouverts, entoure de
mes camarades qui ronflaient ou s'etiraient, je m'assis sur mon seant,
et me mis a reflechir. Je me sentais dispos et en belle humeur. Ou et
quand trouverais-je une occasion meilleure pour m'evader? La
surveillance semblait s'etre detendue; j'avais dans ma ceinture assez
d'or pour etre assure que le concours de quelque habitant du pays ne
me manquerait pas.--Ce sera pour aujourd'hui, me dis-je.
VIII
La chose bien resolue, je descendis de mon grenier. Les officiers
s'etaient reunis dans la salle a manger pour faire leurs adieux a la
maitresse du logis; je me coulai de ce cote. Madame L... avait les
yeux rouges. Sa fille et son fils se tenaient a ses cotes. On etait
fort emu de part et d'autre. Savait-on si on se reverrait jamais? Un
offici
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