d'Italie
essuyaient des larmes furtivement. Il semblait que cette troupe dont
la file s'allongeait sur la route portat le deuil de cent annees de
victoires effacees en un jour par un desastre. Nous avions pour
escorte deux forts pelotons d'infanterie prussienne portant le casque
a pointe, et qui marchaient l'un en tete de la colonne, l'autre en
queue. Et sur les bas cotes de la route, la flanquant de deux metres
en deux metres, des sentinelles nous accompagnaient, le fusil charge
sur l'epaule. On nous avait prevenus qu'a la moindre alerte, elles
avaient ordre de faire feu. Des uhlans, le pistolet au poing,
faisaient la navette, et passaient au grand trot de l'avant-garde a
l'arriere-garde de la colonne, bousculant tout.
La route etait defoncee, les chariots cahotaient dans les ornieres.
Nous marchions dans la boue. On ne voyait partout que chaumieres
brulees, arbres abattus, champs ravages. C'est ainsi que nous
arrivames a Bazeilles. Qui a vu ce spectacle ne l'oubliera jamais. Il
semblait qu'une trombe se fut jetee sur le village. Tout y etait par
terre. Un amoncellement de toitures effondrees, et de murailles
tombees au ras du sol, des debris de meubles calcines, des poutrelles
rompues, des charrettes en morceaux, des charrues et des herses
brisees par le milieu, des lambeaux de volets et de portes pendant sur
leurs gonds, des carcasses d'animaux atteints par les balles et
surpris par le feu, les jardins en ruine avec leurs treilles et leurs
pommiers noircis, partout les traces de l'incendie. On marchait sur
des eclats d'obus. Il y avait ca et la sur des pans de mur de larges
taches d'un brun noiratre. Une main sanglante avait applique
l'empreinte de ses cinq doigts sur un enduit de platre; des lambeaux
de vetement restaient accroches entre les haies; sur un buisson, on
apercevait deux petits bas d'enfant qu'on y avait mis secher. Sur la
facade d'une maison labouree par un paquet de mitraille, l'appui d'une
fenetre a laquelle il ne restait pas une vitre supportait deux jolis
pots de fleurs en faience bleue. Quelques malheureux se promenaient
parmi ces decombres. Il s'en degageait une odeur affreuse de cadavres
en putrefaction. Des fragments d'armes jonchaient le sol. C'etait
navrant, horrible, hideux. Le village etait comme eventre. Une famille
vetue de loques s'etait blottie sous un appentis: elle nous regardait
passer avec des fremissements effares. Peut-etre cherchait-elle son
foyer; son malheur depassait le notre
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