: des soldats lui jeterent des
morceaux de biscuit.
VII
Bazeilles traverse, notre marche continua. On ne pouvait ni s'arreter,
ni se reposer. Chaque etape etait marquee d'avance avec un temps
determine pour la parcourir. Nous etions partis de Sedan a onze heures
un quart, et nous arrivions a Stenay a huit heures du soir, apres une
halte d'une demi-heure. Une surprise heureuse m'attendait a Stenay.
L'officier a qui je servais d'ordonnance, et qui poussait la bonte
jusqu'a me traiter en ami plus qu'en soldat, voulut bien me presenter
a un ancien capitaine de zouaves qui avait obtenu du prefet prussien
l'autorisation de loger les camarades du 3e regiment, auquel il avait
appartenu. Une place me fut offerte a la table hospitaliere autour de
laquelle M. D... les recut. Je m'empressai d'accepter. Quelle faim!
Jamais soupe fumante, jamais boeuf bouilli ne degagerent aromes plus
savoureux; mes narines les aspiraient non moins que mes levres. Il y
avait huit ou dix jours a peu pres qu'une bouchee de nourriture
honnete ne les avait traversees. On parlait beaucoup a mes cotes, et
les recits s'entre-croisaient avec les questions; je n'entendais rien,
je mangeais. On ne sait pas quel vide peuvent creuser dans l'estomac
d'un volontaire, majeur depuis un an a peine, l'abus du son delaye
dans l'eau pure, et trente-deux kilometres avales d'une traite! Rien
ne le comble; M. D... riait de mon appetit. La nappe enlevee et le
cafe pris, il me permit de m'etendre sur le tapis d'une chambre a
coucher. Les lits, les canapes, les matelas, appartenaient
naturellement aux officiers. A peine etendu, je dormis les poings
fermes. Une inquietude me restait; pourrais-je me lever le lendemain
matin? Il y avait la un probleme que l'experience seule pouvait
resoudre.
A sept heures, le bruit qu'on faisait dans la maison me reveilla.
J'essayai de me dresser. Ce ne fut pas sans une certaine difficulte
que j'y parvins. Mon officier m'encourageait du geste et de la voix.
--La courbature, ce n'est rien, quoiqu'il me semble avoir fait une
ample provision de rhumatismes du cote de Glaires; mais c'est le pied
qui ne va plus! lui dis-je.
C'etait vrai. Il faut avoir ete chasseur ou soldat pour savoir ce que
c'est qu'une plaie au talon, a la cheville, au cou-de-pied. Mieux
vaudrait avoir un bras casse ou une balle dans l'epaule. Comme disent
les marins, on est atteint dans ses oeuvres vives. L'aspect d'une
table servie me rendit un peu de force;
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