olonne se mit
en mouvement. Le pont franchi, nous suivimes, pour rentrer a Sedan, le
meme chemin que nous avions pris pour en sortir. La colonne s'y arreta
un instant. Une piece de monnaie a la main, et profitant de cette
halte, je me presentai devant la boutique d'un boulanger, a la porte
duquel s'allongeait une queue de prisonniers. Des soldats prussiens se
melaient a cette foule. L'un d'eux ne se genait pas pour bousculer ses
voisins. On se recria. Il etait brutal, il devint insolent. La
discussion entre gens que la faim talonne degenere bien vite en
querelle. Au moment ou la querelle prenait les proportions d'une rixe,
un officier intervint. Il s'enquit de ce que se passait. Les
prisonniers declarerent d'une commune voix, et c'etait vrai, que le
Prussien avait voulu se faire servir avant son tour, et qu'il s'etait
jete a travers les rangs comme un furieux, frappant et cognant.
L'officier donna l'ordre au soldat de se retirer. Celui-ci avait bu
quelques verres d'eau-de-vie, un de trop peut-etre. Il s'ecria qu'il
ne cederait pas, et qu'il aurait son pain parce qu'il le voulait. Sans
repondre, l'officier prit a sa ceinture un revolver, l'arma, et
froidement cassa la tete au soldat. Il tomba comme une masse. Aucun
des camarades du mort ne remua; je commencai a comprendre ce que
c'etait que la discipline prussienne.
Rentres a Sedan par la porte de Paris, nous en sortimes par la porte
de Balan. Cette ville, que j'avais vue encombree de troupes
francaises, etait alors occupee par une garnison de soldats de la
landwehr. Des malades et des blesses se trainaient ici et la. Les
habitants nous regardaient passer d'un air morne. Quand ils pensaient
n'etre pas vus par nos gardiens, quelques-uns d'entre eux
s'approchaient de nous pour nous donner du pain ou des morceaux de
viande, aumone de la ruine a la misere. Notre colonne, composee de
huit cents hommes a peu pres, comptait des officiers de toutes armes.
La cavalerie et l'artillerie y avaient un grand nombre de
representants. Leurs uniformes ne les eussent-ils pas designes, on les
aurait reconnus a la pesanteur de leur marche, alourdie par leurs
grosses bottes et la basane de leurs pantalons. C'etait au tour des
fantassins de payer en sourires les railleries des cavaliers; mais qui
pensait a sourire en ce moment-la? Il ne restait plus trace de la
vieille gaiete gauloise. Ce sentiment qu'on etait prisonnier ecrasait
tout. Des officiers qui portaient la medaille de Crimee et
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