ail nocturne!
Le jour arriva. La pluie continuait a tomber avec la meme abondance et
la meme tranquillite. Les rives de la Meuse s'enveloppaient d'un
rideau de brume. Les Prussiens avaient commence une sorte de
distribution sommaire; elle se composait d'un demi-biscuit par homme
et pour deux jours. On y courait cependant. C'etait une distraction
encore plus qu'un soulagement. Malheur a qui laissait trainer un
morceau de cette maigre pitance! On avait pour boisson l'eau de la
riviere, a laquelle on allait par troupes remplir ses bidons. Ce
regime et cette temperature faisaient des vides parmi les prisonniers;
qui tombait malade etait perdu. Un cas de fievre etait un cas de mort.
Point de medecins et point de medicaments. On avait la terre pour
dormir et un quart de biscuit pour ne pas mourir de faim.
J'avais fait la connaissance d'un chasseur d'Afrique, engage
volontaire comme moi. C'etait un garcon qui avait le visage d'une
jeune fille, et avec cela vif comme un oiseau et brave comme un chien
de berger. Rien n'avait de prise sur ce caractere robuste, ni la
fatigue, ni les mesaventures. A chaque nouvelle epreuve, il secouait
ses epaules comme un terre-neuve qui sort de l'eau. Didier ne
tarissait pas en histoires incroyables. J'ai toujours pense que ma
nouvelle connaissance etait de cette famille de Parisiens qui, leur
patrimoine croque, s'arrangent d'un sabre pour avoir un cheval. Il
etait porte pour la croix. Un jour il m'offrit son quart de biscuit.
--Et toi? lui dis-je.
--Je n'ai pas faim.
Et comme j'hesitais:
--Un de ces jours tu me rendras un gigot, si tu trouves encore un
mouton, reprit-il en riant.
Il me tendit la main, et s'eloigna. Je remarquai qu'il avait les yeux
tristes. Le souvenir de ces yeux me poursuivit tout le soir. Le
lendemain, errant sur un chemin, j'avisai quatre soldats qui
portaient un mort sur une civiere.
--Sais-tu qui passe la? me dit un sergent de ma compagnie.
--Non.
--C'est ton chasseur.
Je courus vers la civiere: c'etait Didier, en effet.
--On savait chez nous qu'il etait perdu, me dit l'un des cavaliers qui
le portaient.
Je me mis a marcher derriere lui, les yeux gros de larmes.
On ne pouvait sortir sans rencontrer un de ces corteges sinistres.
Ordinairement le cadavre etait couche sur un brancard fait de deux
morceaux de bois relies par deux traverses. Quelquefois encore quatre
soldats le prenaient par les jambes et les bras, et le jetaient dans
une fosse
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