le droit de fumer un tiers de la
cigarette, avec le privilege de commencer, me fut adjuge. Les autres
adjudicataires se rangerent autour de moi, et la cigarette mesuree et
marquee d'un cercle noir au tiers de sa longueur, dix paires d'yeux
suivaient les progres du feu tandis que je la tenais entre mes levres.
Pendant les deux ou trois premiers jours, il y avait eu des heures de
pluie et des heures de soleil. On employait celles-ci a secher
l'insupportable humidite occasionnee par celles-la; mais un matin le
ciel parut tout noir, et la pluie se mit a tomber avec une persistance
et une regularite qui pouvaient aisement faire croire qu'elle
tomberait toujours. Vers le soir, mouille comme une eponge qui aurait
fait une chute dans une riviere, on me recueillit dans une tente. Sept
ou huit soldats se pressaient dans un espace ou trois ou quatre
auraient peut-etre pu s'etendre. J'etais en outre arrive le dernier,
et je dus m'allonger au bas bout de la tente. Apres une heure de
sommeil, de larges gouttes d'eau froide qui s'aplatissaient sur mon
visage me reveillerent. Un sergent que mes mouvements tracassaient
ouvrit les paupieres nonchalamment.
--Ca, me dit-il, c'est la pluie.
--Merci, repliquai-je, et, prenant une autre posture, je me fis un
rempart de mon capuchon. Au bout d'une autre heure, j'eprouvai
vaguement la sensation d'un homme qu'on plongerait brusquement dans un
bain froid. Il me semblait qu'un robinet invisible versait avec
obstination un torrent d'eau glacee autour de mon corps. Un frisson
acheva de me reveiller. Le reve ne m'avait pas trompe: j'etais dans
une mare. L'eau clapotait le long de mes epaules et de mes jambes. Je
sautai sur mes genoux. Le sergent qui deja m'avait parle risqua un
coup d'oeil de mon cote, et m'apercut dans ma baignoire.
--Ca, reprit-il, c'est les rigoles.
Je n'en pouvais douter. La pluie avait rempli les rigoles creusees
autour de la tente et au bord desquelles je me trouvais. Elles
debordaient sur moi.
Il etait dix heures, je ruisselais. Autour de moi, on ronflait.
J'abandonnai la tente et achevai ma nuit en promenades. C'est dans ces
moments-la que l'on devine la douceur des occupations qui vous
paraissaient fatigantes autrefois. Je revoyais en esprit la petite
chambre voisine de la rue de Turenne, la cheminee flambante, la tasse
de the, la table aupres desquelles j'avais passe des heures a la
clarte d'une lampe placee entre des livres.--Et j'avais pu me plaindre
du trav
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