creusee a la hate et recouverte bien vite de quelques
pelletees de terre. Deux ou trois camarades suivaient le corps. Le
lendemain, on n'y pensait plus... C'etait comme une grande loterie.
VI
Les heures dans cette pluie et cette inaction etaient longues et
lourdes. On en perdait le plus qu'on pouvait en promenades ca et la.
Les bords de la Meuse nous attiraient. On ne pouvait faire une
centaine de pas sur la rive sans voir, descendant au fil de l'eau, des
cadavres d'hommes et de chevaux. On en rencontrait d'autres echoues
dans des touffes d'herbe, la un chasseur de Vincennes, la un uhlan.
Tous les corps des deux armees y avaient laisse quelques-uns de leurs
representants. On y faisait un cours d'uniformes _in anima vili_. Il y
avait des heures, quand il ne pleuvait pas, ou je ne pouvais
m'arracher a ce lugubre spectacle. Je regardais les cadavres que le
cours du flot emportait lentement, ou qui restaient pris entre les
joncs dans des attitudes terribles. Il en etait parmi eux qui, vivants
au mois de juillet, avaient peut-etre chante _le Rhin allemand_ sur
les boulevards de Paris. Leur agonie s'etait terminee dans la vase.
La premiere fois que je m'etais avance du cote du moulin, j'avais vu
sur le barrage, accroches parmi les pierres, les corps de deux
soldats, un Francais et un Prussien, que le remous des eaux balancait.
Ce mouvement vague, qui faisait par intervalles rouler leurs tetes et
leurs bras, leur pretait un semblant de vie qui avait quelque chose
d'effrayant. Ils y etaient encore quatre jours apres. Des oiseaux
voletaient au-dessus du barrage. Le soir, aux lueurs incertaines qui
tombaient d'un ciel gris, ces formes vagues qu'on voyait flotter sur
la riviere prenaient des aspects etranges. L'imagination y avait sa
part; mais le spectacle dans sa realite crue avait par lui-meme un
caractere epouvantable.
Je me rappelle qu'un matin, en allant remplir mon bidon dans un pli du
rivage ou jusqu'alors le hasard ne m'avait pas conduit, un de mes
camarades me poussa le coude:
--Regarde, me dit-il.
Je levai les yeux et apercus sur un ilot de sable, a quelques metres
du rivage, le corps d'un cuirassier dont la tete disparaissait a demi
sous un lit de longues herbes. Ses jambes, chaussees de lourdes
bottes, et son corps, sur lequel etincelait la cuirasse, saillaient
hors de l'eau. Sa main gantee reposait sur la vase et s'etait nouee
autour d'une touffe de glaieuls. Deux ou trois corbeaux battaient de
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