-bas, filait
une route sur laquelle passaient en toute hate des familles de paysans
chassees par la peur et le desespoir. Des femmes qui pleuraient
portaient des petits enfants. Ces malheureux pressaient la fuite de
quelques bestiaux. On entendait le grincement des charrettes toutes
chargees de ce qu'ils avaient pu sauver. Des detonations roulaient
dans la campagne. On voyait ca et la, au-dessus des haies, des
panaches de fumee blanche; toutes les tetes etaient aux portieres. Le
convoi allait au devant de la bataille. Un melange d'angoisse et
d'impatience m'agitait. En ce moment, un zouave parut sur le
marchepied, et avertit ses camarades, de la part du lieutenant, qu'ils
devaient se tenir prets a tirer. En un clin d'oeil, tous les
chassepots furent charges et armes. Le wagon s'en trouva herisse, et
la locomotive prit une allure plus rapide. On n'apercevait au loin que
quelques groupes noirs ondulant dans la plaine. Des yeux percants
croyaient y reconnaitre le casque a pointe des Prussiens. Tout a coup
un obus parti d'un point invisible s'enfonca dans le remblai du chemin
de fer; un autre, qui le suivait, ecorna l'angle d'un wagon. Le convoi
en fut quitte pour la secousse. Les zouaves repondirent a cette
agression par quelques coups de fusil tires dans la direction des
masses noires qu'on voyait au loin. Une heure apres, le convoi etait
en vue de Sedan, et s'arretait bientot a la gare, qui est situee a un
kilometre a peu pres du corps de place. Deja les bataillons prussiens
couronnaient certaines hauteurs voisines. Les promenades qui m'avaient
fatigue a Mezieres et a Rethel m'attendaient a Sedan. J'avais a peine
fait quelques pas dans la ville, qu'un fourrier de zouaves m'engagea,
ainsi que plusieurs de mes camarades, a retourner a la gare, ou des
caisses de fusils etaient arrivees, disait-il. Je m'y rendis en
courant. A la gare, point de caisses et point de fusils, mais des amas
de pains et des monceaux de sacs remplis de biscuits. Je regardai le
fourrier.
--Vous n'y comprenez rien, n'est-ce pas? me dit-il en riant: ne me
fallait-il pas des hommes de bonne volonte pour enlever ces
provisions? M'auriez-vous suivi, si je ne vous avais pas promis des
armes?
Il n'y avait rien a repliquer a ce raisonnement. Ployant bientot sous
le poids du sac et portant un pain sous chaque bras, je repris le
chemin de Sedan, ou mon detachement avait ordre d'attendre sur la
place Stanislas. Un ordre vint en effet qui le fit retourner a
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