a colere faisait tous les frais de l'entretien. Je n'etais
plus soutenu par l'ardeur de la lutte. Une immense reaction se
faisait, suivie d'un immense accablement. Je tombai par terre plus
que je ne m'y couchai, et m'endormis d'un lourd sommeil.
Une clameur horrible me reveilla vers neuf heures. A peine ouverts,
mes yeux furent eblouis par la clarte d'un incendie que l'armee
prussienne saluait d'un hurrah frenetique. Trois ou quatre maisons
flambaient dans la nuit. Enveloppe de mon fidele tartan, je restai
etendu sur le dos, regardant bruler cet incendie qui projetait de
grandes lueurs sur le ciel. La voix du canon aurait pu seule me tirer
de mon immobilite. Je n'avais pas bien le sentiment de mon existence.
Des zouaves, dans toutes les attitudes, dormaient ou fumaient la pipe
autour de moi. Que de choses s'etaient passees depuis deux jours! Je
regardais mes mains noires de poudre. Un bruit sourd et continu me
tira de cet aneantissement. Des masses epaisses et sombres marchaient
dans l'obscurite de la nuit et passaient devant moi: c'etaient les
debris de l'armee qui avait perdu la bataille supreme. Vaincue et
brisee, elle se rangeait autour des remparts. Des regiments de ligne
entiers suivaient l'infanterie de marine, qui avait si vaillamment
paye la dette du sang. Beaucoup d'entre eux n'avaient meme pas donne.
Des mots sans suite nous apprenaient que le marechal de Mac-Mahon
avait ete blesse,--quelques-uns le disaient mort,--et que des mains du
general Ducrot le commandement avait passe aux mains du general
Wimpfen. L'eclair vacillant des baionnettes reluisait au-dessus des
kepis. Cette foule enorme marchait d'un pas lourd: elle portait le
poids d'une defaite. Une partie de la nuit se passa dans ce tumulte.
J'ouvrais et je fermais les yeux tour a tour: des bataillons suivaient
des bataillons; je les entrevoyais comme dans un reve.
Le matin me trouva sur pied. Il y avait dans la ville un encombrement
de soldats de toutes armes confusement rassembles dans les rues et
sur les places publiques. Cette multitude, ou l'on ne sentait plus les
liens de la discipline, bourdonnait partout. Des soldats qui portaient
des lambeaux d'uniforme erraient a l'aventure. C'etait moins une armee
qu'un troupeau. Soudain un mouvement se fit dans cette masse. Une
voiture parut attelee a la Daumont. Un homme en petite tenue s'y
faisait voir portant le grand cordon de la Legion d'honneur; un
frisson parcourut nos rangs: c'etait l'empereur. Il
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