llage hideux des
regiments mouraient de faim. Les repus vendaient le produit de leur
rapine aux affames. On mettait aux encheres les pains de munition et
les pieces de lard. Je me tirai comme je pus de cette cohue qui
trebuchait. Apres l'indignation, le degout.
V
Ce sommeil de plomb qui m'avait surpris sur l'herbe aux approches de
la citadelle, m'attendait dans le meme campement. Une lassitude
extreme m'accablait, une lassitude nerveuse qui venait du cerveau plus
que des membres. J'etais litteralement brise. Au reveil, je devais
entrer dans un cauchemar plus terrible. Les regiments recurent l'ordre
de livrer leurs armes. Non, jamais je n'oublierai le spectacle a la
fois superbe et lugubre qui frappa mes yeux. Un fremissement parcourut
la ville. La mesure etait comble; c'etait comme le deshonneur inflige
a ceux qui restaient des heroiques journees de Spickeren et de
Reischoffen, de Wissembourg et de Beaumont. Ce fut bientot un tumulte
effroyable. Les vieux soldats d'Afrique faisaient pitie. Ils se
demandaient entre eux si c'etait bien possible. On en voyait qui
pleuraient. Moi-meme,--et je n'etais qu'un conscrit,--j'avais des
larmes dans les yeux. Ce chassepot que je n'avais guere que depuis
trois jours et avec lequel j'avais fait mes premieres armes, ce
chassepot auquel j'avais adapte, en guise de bretelle, un lambeau de
ma ceinture de zouave, et qui sentait encore la poudre, il fallait
donc le livrer! Je le pris par le canon, et, le faisant tournoyer
au-dessus de ma tete, je le rompis en deux morceaux contre le tronc
d'un arbre. Je ne faisais d'ailleurs que ce que faisaient la plupart
de mes camarades. C'etait partout un grand bruit de coups de crosses
contre les murs et les paves. On n'apercevait que soldats armes de
tournevis qui demontaient la culasse mobile de leurs fusils, et en
jetaient les debris. Les artilleurs, atteles aux mitrailleuses, en
arrachaient a la hate un boulon, une vis, en brisaient un ressort pour
les mettre hors de service. D'autres, fous de rage, silencieusement,
enclouaient leurs pieces. C'etait dans tout Sedan comme un grand
atelier de destruction; les officiers laissaient faire. Les cavaliers
jetaient dans la Meuse les sabres et les cuirasses, les casques et les
pistolets: on marchait sur des monceaux de debris. Chaque pas
arrachait au sol un bruit de metal; c'etait la folie du desespoir.
Il fallut enfin que la sinistre promenade commencat. Je revis la porte
de Paris et le pont
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