des rues, et s'agitaient dans cette
enceinte trop etroite pour leur foule. Il y avait ca et la comme des
houles faites de cuirassiers, de hussards, d'artilleurs, de dragons,
de lignards. L'ivresse s'abattait partout. Un mot ne me sortait pas de
la tete: Prisonnier! et j'avais fait une campagne de trois jours! Je
rencontrai mon commandant:
--Eh bien? me dit-il.
Je ne trouvai pas une parole a lui repondre. Il me serra la main et
passa. Il y avait des visages sur lesquels on lisait un desespoir
terrible. Il me semblait qu'avec un regiment de ces visages-la on
aurait fait une trouee partout. Avec quel plaisir n'aurais-je pas
saute sur mon fusil, si le signal de l'attaque avait ete donne! mais
rien! Des cohues qui tournaient dans une ceinture de remparts!
On s'accostait, on se quittait, on se reprenait. Le vieux zouave qui
m'avait pris en amitie depuis les palissades, marchait a cote de moi.
Il riait dans sa barbe semee de fils d'argent.
--Prisonnier! sais-tu ce que c'est, petit? me disait-il. C'est du pain
noir, de l'eau, des casemates, de la terre a remuer, quelquefois des
coups... Et pas un brin de tabac a fumer! Ca ne s'etait jamais vu! Et
dire qu'on m'a fait venir d'Afrique pour ca! Etre pris dans son pays
comme un rat dans une souriciere quand on a passe par Inkermann et
Solferino, c'est drole tout de meme! Ce sont les Arabes qui vont rire!
Mon vieux regiment abime, les officiers morts, adieu les zouaves du
3e! Toi, tu viens de Paris; ca se voit a ton air; moi, j'arrive
d'Oran, et toi et moi nous tomberons en Allemagne!... Est-ce qu'on n'a
pas fait ce qu'on a pu, dis? voyons, dis-le pour voir!
Je crus un instant qu'il allait me chercher querelle; il me regardait
avec des yeux furibonds. Je me hatai de le calmer en lui jurant que
c'etait aussi mon avis.
--Alors, vois-tu, c'est la faute des generaux, avoue-le, reprit-il.
Un tapage abominable interrompit notre conversation. C'etait
l'administration qui donnait a piller les subsistances de l'armee. On
courait, on se bousculait, on se battait: c'etait une crise aigue dans
le desordre. Je perdis mon vieux zouave dans la foule comme on perd de
vue un chevreuil dans une foret. Des bandes se ruaient autour des
caisses de biscuits et des barils de salaisons en poussant des cris
formidables. On defoncait a coups de crosse les tonneaux de vin et
d'eau-de-vie. Le liquide coulait dans les rues. Les plus proches en
avaient jusqu'aux chevilles. A cent metres de ce gaspi
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