qui
restait du regiment, campe sur la gauche de la citadelle en faisant
face a la Belgique. J'y trouvai quelques centaines d'hommes sur
lesquels la furieuse bataille qu'ils venaient de traverser avait
laisse d'epouvantables traces. Quelques-uns, accroupis par terre,
rafistolaient des lambeaux d'uniforme; d'autres pansaient des
blessures qu'ils dedaignaient de porter a l'ambulance.
Un commandant dont j'avais fait la connaissance au camp de Chalons, et
qui gracieusement m'avait promis de faire tout ce qui dependrait de
lui pour rendre moins dures les premieres fatigues du noviciat
militaire, vint a moi, un triste sourire aux levres.
--Eh bien! me dit-il, vous avais-je trompe?
--Ma foi! tout y est, la misere, les privations, le sang!...
--Et vous ne comptez pas ce que nous reservent les consequences d'une
defaite que mon experience du metier n'allait pas jusqu'a prevoir.
Je l'interrogeai du regard.
--Vous verrez, reprit-il. Et tout ce que vous pouviez rever de pire
sera depasse.
Il soupira, et se mettant a marcher:
--Vous n'etes pas blesse au moins?
--Non, pas une egratignure, rien.
--C'est une chance! que de braves gens qui sont morts depuis que je ne
vous ai vu! Sedan, apres Reichshoffen! notre regiment est en poudre.
Vous savez, tous ceux que vous avez vus pres du colonel il y a quinze
ou vingt jours, tous morts... morts ou disparus!... Il etait devenu
tres-pale.
--Vous n'avez besoin de rien? reprit-il brusquement.
--Non, merci, commandant.
--Au reste, nous n'allons pas nous quitter de quelques jours; si je
puis vous etre bon a quelque chose, disposez de moi.
Je le remerciai et il s'eloigna lentement, jetant ca et la des regards
sur la bande vetue de vetements en loques qui avait ete un regiment.
Le lendemain,--je ne l'oublierai jamais,--on afficha partout la
proclamation du general de Wimpfen, qui avait signe la capitulation de
la ville et de l'armee. Tous nous etions prisonniers de guerre.
Il n'y eut plus ni frein, ni discipline; l'armee etait comme affolee.
Des groupes enormes s'arretaient aux places ou l'affiche etait collee;
il en sortait des imprecations. Ce mot dont on a tant abuse depuis,
_trahison_! volait de bouche en bouche. On etait livre, vendu! Apres
avoir ete de la chair a canon, le soldat devenait de la chair a
monnaie: tant d'hommes, tant d'or. Un bourdonnement terrible
remplissait la ville. On ne saluait plus les generaux. Des bandes
passaient en vociferant le long
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