jetait autour de
lui ces regards froids que tous les Parisiens connaissent. Il avait le
visage fatigue; mais aucun des muscles de ce visage pale ne remuait.
Toute son attention semblait absorbee par une cigarette qu'il roulait
entre ses doigts. On devinait mal ce qu'il allait faire. A cote de lui
et devant lui, trois generaux echangeaient quelques paroles a
demi-voix. La caleche marchait au pas. Il y avait comme de
l'epouvante et de la colere autour de cette voiture qui emportait un
empire. Un piqueur a la livree verte la precedait. Derriere venaient
des ecuyers chamarres d'or. C'etait le meme appareil qu'au temps ou il
allait sur la pelouse de Longchamps assister aux courses du grand
prix. Deux mois a peine l'en separaient. On penchait la tete en avant
pour mieux voir Napoleon III et son etat-major. Une voix cria: _Vive
l'empereur!_ une voix unique. Toute cette foule armee et silencieuse
avait le vague sentiment d'une catastrophe. Un homme s'elanca au
devant des chevaux, et, saisissant par les jambes un cadavre etendu au
milieu de la rue, le tira violemment de cote. La caleche passa;
j'etouffais. Quand je ne vis plus celui que plus tard on devait
appeler l'homme de Sedan, un grand soupir souleva ma poitrine. Celui
qui avait dit: L'Empire, c'est la paix, disparaissait dans la guerre.
Le spectacle que presentait alors Sedan etait navrant. On se figure
mal une ville de quelques milliers d'ames envahie par une armee en
deroute. Des soldats endormis gisaient au coin des rues. Plus
d'ordres, plus de commandement. Des familles pleuraient devant les
portes de leurs maisons visitees par les obus. Il y avait un
fourmillement d'hommes partout; ils etaient, comme moi, dans la
stupeur de cet epouvantable denouement. J'errai a l'aventure dans la
ville. Des figures de connaissance m'arretaient ca et la. Des
exclamations s'echappaient de nos levres, puis de grands soupirs. Le
bruit commencait a se repandre que l'empereur s'etait rendu au
quartier general du roi Guillaume. Les soldats, furieux, ne lui
epargnaient pas les epithetes. On lui faisait un crime d'etre vivant.
Les officiers ne le menageaient pas davantage. On questionnait
ceux,--et le nombre en etait grand,--qui l'avaient vu passer dans sa
caleche. L'histoire de la cigarette soulevait des explosions de
colere.--Un Bonaparte! disait-on.
Vers deux heures, un caporal de ma compagnie m'avertit que les zouaves
qui occupaient la porte de Paris avaient recu ordre de rallier ce
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